28 Aug

Les pensées de Caïn

Publié par lechanoir.over-blog.net  - Catégories :  #Pitchs et extraits de nouvelles

Pitch : Sous les yeux d'un homme mystérieux, une jeune aveugle tombe sur un livre laissé à l'abandon dans un parc. Elle l'ouvre et dès lors, une sorte de fascination maladive semble naître. Mais est-ce vraiment elle qui a pris possession de l'ouvrage ou l'ouvrage qui a pris possession de la jeune femme ? Qui en est l'auteur et pourquoi tant de malheurs parmi ceux qui se le sont appropriés ?... Entre enquête et suspens, êtes-vous certain de vouloir accompagner Anne dans ce sombre voyage ?


D’après une idée originale de
Y.LEMERLU & B.CHANU.

 

 

Début :

 

Les pages voletaient au gré du vent, comme tournées par des doigts invisibles. Elles défilaient d’avant en arrière puis d’arrière en avant. Elles étaient ainsi ballottées jusqu’à ce que la brise se fasse plus légère, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un brin d’air, et l’instant d’après reprenaient leur danse comme si le vent n’avait jamais cessé. Elles dansaient, elles virevoltaient comme si elles voulaient se détacher de leur ensemble, comme si elles désiraient s’en aller toujours plus loin, toujours plus haut, voler de leurs propres ailes. Elles n’étaient rien les unes sans les autres mais leur dessein premier : se raconter, se partager, se transmettre était plus fort que tout et au final elles se seraient laissées emporter. Ce vent, soufflant toujours plus fort sur ces feuilles fragiles les aurait finalement arrachées à leur tout dans une déchirure de papier si soudain le livre ne s’était brutalement refermé.

 

(…)

 

Extraits :

 

Anna.

Elle ne pouvait se défaire de ces images qui s’étaient matérialisées dans son esprit pendant la lecture de son amie. Comme autant de flashs, alternance d’ombre et de lumière où se mêlaient couleurs, formes et visages, ces scènes vivaient devant ses yeux éteints. Les formes étaient grossières et les visages troubles, dilués comme la peinture d’une aquarelle, pourtant elle en venait à se demander si ces images étaient toutes issues de son imagination tant elles lui paraissaient réelles.

 Vivant dans la nuit depuis des années, elle s’était inventée de nouveaux repères. Ses autres sens avaient compensé son handicap. Son esprit avait pris l’habitude d’imaginer ce qu’elle ne pouvait voir et elle avait même parfois l’impression de pouvoir discerner les choses… Alors comment être certaine lorsqu’on est aveugle de distinguer le vrai du faux ?

Elle entendait encore la voix de Claire, douce et mélodieuse, égrenant chacun des mots de l’auteur, phrase après phrase, page après page. Elle n’avait qu’une hâte : plonger à nouveau dans ses pensées, dans le journal de cette intimité. Un journal haut de gamme plus proche, tant dans le style que dans le fond, des Pensées philosophiques que du journal d’Anne Franck. Des idées pernicieuses, des mots parfois crûs, des images souvent graveleuses, des réflexions et des jugements littéralement jetés sur le papier, des sentiments et des ressentiments crachés dans l’encre et s’élevant pourtant dans un style littéraire jamais égalé, qui au lieu d’installer Anna dans un malaise de bon aloi, attisaient au contraire sa curiosité et son désir d’aller de l’avant en se souillant davantage encore.

 

Cet ouvrage avait exercé sur elle une telle fascination qu’elle avait su avant même d’en lire la moindre ligne que son intérêt allait bien au delà de sa lecture… bien au delà des mots. En tombant sur ce manuscrit dans le parc, c’était un peu comme si Lui l’avait choisie et non elle. Elle se rappela de l’inscription sur la carte : « Ce livre veut vivre, ce livre doit vivre ! 

 

(…)

 

 

L’homme observait la scène, confortablement installé sur un fauteuil, apparemment déplacé pour l’occasion.

Une planche entre les mains, il dessinait le corps de la jeune femme allongé sur le lit, les couvertures baissées jusqu’aux mollets. Ses doigts experts croquaient par vives touches le moindre détail, de la position du corps à l’emplacement des meubles et de chaque objet.

Vêtue d’une robe de nuit bordeaux, les cheveux étalés de tout leur long sur les oreillers et les yeux fermés, elle semblait en paix avec elle-même. Son visage était si serein qu’on aurait pu la croire endormie si au dessous d’elle, les draps blancs n’avaient pas pris la même teinte que celle de sa robe. Presque tout le matelas était inondé de son sang.

L’homme ne semblait pas éprouver la moindre émotion. Il avait un travail à faire et il le faisait avec soin. Son fusain glissait sur le carton avec une dextérité étonnante et par fine touche, la scène prenait forme sur le papier.

Quand il eut fini, il remit le fauteuil à sa place, essuya ses traces et regarda une dernière fois le spectacle avant de s’en retourner.

 

***

     

De retour à son appartement, il reprit tranquillement son écriture.

 

(…)