Un jour peut-être - ANNÉE V

Samedi 16 avril.

 

Le barbouze

 

     On espère toujours que ce jour n’arrivera jamais. Ce jour où une affaire tournera mal et où il faudra disparaître. On garde pourtant cette idée à l’esprit, telle une épée de Damoclès, en espérant que le fil tiendra encore un peu. On s’y prépare, comme pour conjurer le sort. Des comptes à l’étranger, des caches d’armes, d’argent, des lieux de repli, de faux papiers d’identité. Ce soir-là, après la découverte du corps, j’ai donc disparu. J’ai commencé par jeter mon portable dans la première poubelle venue en ayant pris soin de détruire la carte SIM et la mémoire. J’ai laissé ma voiture au parking et pris les transports en commun pour rejoindre la zone industrielle où j’ai loué un box sous un nom d’emprunt. À l’intérieur, un véhicule, de nouveaux papiers, des vêtements. Je suis passé devant mon appartement. Des véhicules de police stationnaient devant l’entrée. Inutile de s’attarder. Ils ne trouveront rien. J’ai poursuivi mon chemin. Mieux valait passer quelques temps au vert.
J’ai passé deux mois dans l’Ouest du pays, au milieu des montagnes, dans un chalet isolé. Je suivais les informations venant de la ville. Ma disparition avait fait sensation un moment puis l’affaire s’était tassée, remplacée par d’autres événements plus neufs. Le lien ne semblait pas avoir été fait entre les différents meurtres.

     Au bout de deux mois, je suis revenu. Nouvelle identité, nouvel aspect. Je m’étais laissé pousser la barbe et les cheveux. Paul Herbert n’était plus, vive Sam Allen. J’ai commencé par contacter un ancien des services spéciaux. Nous avions traversé pas mal de missions ensemble. Phil avait continué sa route après le service en travaillant plusieurs années comme mercenaire. Je lui avais proposé plusieurs fois de se joindre à mon entreprise, ce qu’il avait toujours refusé, préférant les coups de force pour des dictateurs de pacotille. Il était finalement revenu au pays il y a cinq ou six ans. Il ne m’en avait pas donné la raison et je ne la lui avais pas demandé. Il y a des questions qui ne se posent pas.

     Quand je l’ai contacté, il a répondu présent. Il m’a permis d’obtenir des informations sur les personnes que j’avais suivies les mois précédents sans que j’aie à courir le risque de me découvrir. J’ai ainsi appris que les meurtres avaient continué. La liste se réduisait toujours davantage. Je n’avais plus de piste. Essayer de contacter Mr Smith était un trop gros risque. J’ai donc repris le travail de planque. Des heures à attendre, des jours. J’avais placé des écoutes autour de plusieurs victimes potentielles. Mais il fallait ensuite écouter les bandes, écouter des conversations banales, sans aucun indice. De quoi perdre tout espoir. Pourquoi ne pas tout plaquer et aller se dorer sous le soleil des tropiques ? Pendant ce temps, Phil assurait la surveillance de l’immeuble dans lequel avait travaillé miss Tomkin. Il me rapportait les images du jour. Des visages que je ne reconnaissais pas. Des chauffeurs interchangeables conduisant des Bmw aux vitres fumées. Et puis un jour, parmi les photos, une qui montrait enfin une figure familière. Le costume avait remplacé le jean et le tee-shirt, mais c’était bien lui. L’homme du parc, amoureux transi, membre de la garde rapprochée de Mr Smith. Sa période "gros bras" avait dû s’achever et sans doute avait-il gravi quelques échelons. Les jours suivants, Phil et moi l’avons suivi. Nous avons repéré ses habitudes, son domicile, ses horaires, son nom : Ken Jasper. Au bout d’un mois, je me suis décidé à passer à l’action. Même plan que pour Melle Tomkin, avec Phil en couverture cette fois. J’ai patienté dans l’appartement. Vers vingt-trois heures, j’ai reçu le signal de Phil. L’homme venait d’entrer dans le parking. Quelques minutes plus tard, j’ai entendu sa clef dans la serrure. Et une voix. Il parlait. Il n’était pas seul… Je me suis précipité dans la chambre. Il a allumé. Fausse alerte. Il était au téléphone.

 

̶        Très bien. Entendu.

̶       

̶        Oui, c’est noté. San-Monfredo. C’est où ce bled ?

̶       

̶        Et on sait pourquoi il s’y rendent tous ?… Ça a un rapport avec le message ?

̶       

̶        Je vous prépare un topo pour demain mais ça va faire court pour le 26. Le temps de récupérer le matériel, de monter les équipes, repérer les lieux...

̶         

̶        Oui, je sais. C’est mon travail. Je vous recontacte demain.

     Il a raccroché et s’est dirigé vers la salle de bain. Je me suis faufilé hors de la chambre et je suis parti.

     San-Monfredo, le seize avril.

     Je n’ai pas manqué le rendez-vous.

     C’était effectivement un trou perdu au milieu du désert. Il n’a pas été difficile de localiser le lieu de la rencontre. Le petit bar accolé à la station service était le seul établissement qui tenait encore debout. Tout autour, quelques bâtisses plus délabrées les unes que les autres. Des véhicules divers et variés abandonnés près des pompes à essence. Et quelques personnes tentant de forcer l’entrée du saloon barrée par la foule. Je me rapproche. A l’intérieur, une estrade improvisée sur laquelle se tiennent deux hommes. Un adolescent hirsute aux yeux cernés que je n’ai vu sur aucune de mes fiches. Et un prêtre en avant-scène qui discute en aparté avec quelques personnes du public. Lui, par contre, son visage me dit quelque chose mais je ne parviens à me rappeler où je l’ai vu. Je croise aussi le regard d’un homme qu’il me semble avoir vu aux infos, une sorte de scientifique qui a déchaîné la polémique en évoquant la vie sur d’autres planètes.

    Je me demande ce que tous ces gens peuvent bien faire là ! Ils ont l’air d’attendre… Mais quoi ? Un discours ? Une révélation ?

     Je me suis fondu dans la masse, reconnaissant encore quelques têtes croisées sur mes fiches, parfois même des personnes que j’ai rencontrées. Mais nulle trace de Mike Jasper.

     Le prêtre s’est redressé. La foule s’est tendue d’un seul homme, réagissant instinctivement, prête à recevoir ce qu’elle était venue chercher. La voix de l’homme s’est élevée, résonnant au milieu du désert, forte, captivante, prenant chacun dans son étreinte.

 

Le scientifique.

 

     La visite du père Abigâël était tombée à pic pour me remettre les idées en place. Le fait de savoir que d'autres avaient vécu cet instant d'une manière similaire avait fini de me rassurer sur la fiabilité de mes perceptions. Je pouvais enfin considérer que cette maudite tumeur n'avait pas entièrement altéré ma perception des choses.

     J'ai désormais le sentiment de faire partie d'un ensemble, d'être l’élément d'un tout qui me dépasse. Je pense que la foi religieuse doit ressembler à cela.
Au fil des mois j'ai noué de véritables liens d'amitié avec l’adolescent et le prêtre. Aby, comme je me plais à l'appeler parfois pour le taquiner. Et mon absence à ce premier rassemblement n’était envisageable pour aucun d’entre nous. D’autant qu’il s’agit presque, pour nous trois, d’une sorte de pèlerinage puisque c’est ici que nos destins se sont croisés pour la première fois, ce jour qui allait modifier le cours de ma vie. De nos vies à tous !

     Cependant, même si le lieu est symbolique il n'est pas vraiment adapté à la circonstance. Il a donc été aménagé au mieux pour accueillir cette foule : une estrade a été dressée et les tables ont été mises de côté pour faire de la place.

 
L’adolescent / Le prêtre.

 

     « Tout ce que nous avons accompli, chaque choix que nous avons fait, chacune des minutes que nous avons vécue ces cinq dernières années nous a conduit à cet instant précis, ici aujourd’hui.

     La voix nous a guidés et j’ai été son "messager".

     Mais je ne suis plus seul... »

     Le jeune homme fit signe au prêtre qui se tenait debout à ses côtés.

     L’ancien bar abandonné semblait encore moins spacieux que dans leurs souvenirs. Cette fois, la petite salle poussiéreuse respirait la vie. La foule était si dense qu’il était difficile de se frayer un chemin jusqu’au comptoir où se tenait l’estrade.

     Le prêtre enchaîna : « Ce jeune homme, qui est aussi mon ami a su nous montrer la voie. Si nous sommes tous réunis ici ce soir c’est parce que nous avons quelque chose en commun… C’est à nous tous désormais qu’incombe la difficile tâche de répandre le message et de préparer les hommes à ce futur pour lequel nous avons été choisis…»

 
Le scientifique.

 

     Je connais bien le contenu du discours d’Aby et j’avoue n’écouter que d’une oreille. J'ai l'esprit occupé par le lancement du satellite qui doit se faire dans un mois. Je m'attends à ce qu'il donne des résultats très vite, et je me prépare déjà à la suite. Je suis un peu à l'écart de la foule, accoudé au bar et j'observe l'assistance. A première vue, aucun point commun entre tous ces gens qui ont des situations et des habitudes si différentes. Pourtant nous avons tous vécu quelque chose de spécial, c’est ce qui nous relie. Ça et le fait qu’on ait été choisis…

     Une jeune femme attire mon attention. Sportive, élancée, brune, les cheveux courts. Elle non plus ne semble pas prêter grande attention au discours d’Aby. Je suis immédiatement captivé par sa beauté naturelle.  Ses yeux noisette parcourent l'ensemble de la pièce. J'ai une impression bizarre : comme si, n’étant pas vraiment à sa place, elle cherchait une sortie. Elle essaie de se faufiler par la gauche et renonce. Puis elle finit par trouver un chemin. Elle évite le monde en longeant les murs et avance tête baissée pour se glisser par la sortie de derrière. Je ne sais pas pourquoi mais quelque chose chez elle m’interpelle. Est-ce sa beauté, sa jeunesse apparente ou son comportement légèrement en marge ? Je n’en ai aucune idée mais j’ai envie d’en savoir plus. J'essaie de la suivre mais la foule me ralentit. Lorsque je parviens enfin à la sortie, elle a disparu. Je regagne donc l’assemblée. J’ai déjà manqué suffisamment du discours d’Aby.

     Je me souviens de son conseil : il faut que j'apprenne à ne pas me laisser distraire toutes les futilités de la vie.

 
Le barbouze.

 

     J’ai écouté : Un message, une mission. Une mission qui reliait chacun dans cette assemblée. La fameuse voix entendue des années en arrière. Des têtes qui acquiesçaient. Les visages qui s’illuminaient de comprendre enfin ou qui se figeaient dans l’incrédulité. Un dernier regard sur l’assemblée et je suis sorti. Peut-être aurais-je plus de chance à l’extérieur. Un mouvement a attiré mon attention. Une femme venait de disparaître derrière le bâtiment. Je l’ai suivie. Elle progressait en s’abritant derrière les véhicules. Elle a sorti une arme. Elle s’est approchée d’un vieux dépôt. Lorsqu’elle a disparu dans le hangar j’ai contacté Phil avec mon micro pour qu’il me rejoigne avec le 4x4. J’ai contourné le bâtiment à la recherche d’une ouverture pour observer à l’intérieur. Tout à coup, des souffles. Brefs. Répétés. Un silencieux. Une masse qui s’affale sur le sol dans un soupir. Un cadavre. Un dernier coup de feu sans doute au milieu du crâne. La demoiselle ne laissait rien au hasard. J’ai regagné l’entrée du hangar, me dissimulant derrière une pile de vieux pneus. La porte métallique a grincé. Elle est sortie, reprenant la direction de la foule. À peine avait-elle fait trois pas que je lui plantais mon arme dans le creux des reins.

 

L’adolescent / Le prêtre.

 

     « Nous sommes les messagers et nous avons une mission à accomplir... »

     L’assemblée, composée d’hommes et de femmes de tous horizons écoutait avec le plus grand intérêt les propos du père Abigâël qui continuait son laïus d’un ton maîtrisé. Une personne pourtant accordait bien peu d’attention à la scène et tandis que d’autres buvaient les paroles de l’homme d’église, le professeur Lightman, lui, buvait son whisky à pleine gorgée. L’allocution, pourtant improvisée, paraissait avoir été préparée et répétée des jours durant. Le ton était réfléchi et l’orateur savait ponctuer chaque moment clé de son discours pour cultiver l’attention du public. 

          Pourtant une voix s’éleva : « Vous êtes tous malades ou quoi ? De quoi parlez-vous ici ? Même si j’avais entendu une voix dans ma tête et même si je voulais bien admettre que ce ne soit pas une hallucination, vous êtes en train de dire que toutes les personnes autour de moi ont entendu la même chose et que maintenant, il y aurait en plus, un message derrière tout ça ?! Mais où je suis tombé ? Vous êtes vraiment dingues !

̶        Ce n’est pas une coïncidence si tu trouves là, dit le père Abigâël. Rien n’est un hasard sur cette terre. Si tu es parmi nous aujourd’hui c’est que tu l’as décidé et comme toi nous avons fait un choix mais nous, nous avons décidé de croire. Tu dois avoir confiance en nous et surtout tu dois avoir confiance en toi, mon fils.

̶        Foutaises, tout ça ! balança l’homme, faisant mine de rebrousser chemin. »

   C’est alors que l’adolescent intervint :

     « Attends ! J’ai une question à te poser : Tu n’as jamais eu l’impression d’être différent, d’avoir du mal à t’intégrer ? A comprendre les autres mais surtout à être compris ?... Il attendit une réaction. Je suis sûr que tu es seul dans la vie, pas vrai ? » L’homme s’arrêta sans se retourner. Il fronça les sourcils. « Tu n’as pas d’amis, pas de famille et aussi loin que tu te souviennes ça a toujours été ainsi !… Au fond, tu te disais que c’était comme ça, que c’était la vie, que c’était ta vie ! Nous avons tous été comme toi à un moment ou un autre. En marge. Certains traçant leur route sans vraiment savoir où ils allaient. D’autres se levant chaque matin pour aller pointer dans une boîte minable dans laquelle ils étaient transparents et rentrant chez eux le soir sans jamais vraiment avoir existé aux yeux des autres, mais surtout sans jamais avoir rien accompli… Et recommençant chaque jour la même rengaine, puisqu’il faut bien faire comme tout le monde... Au fond tu as toujours su que tu étais différent mais qu’est-ce que tu pouvais y faire, pas vrai ?!… »

     Le garçon, marqua une nouvelle pause avant de reprendre :

     « Aujourd’hui, si tu le souhaites, tu peux avoir les réponses à ces questions qu’avec le temps tu as même fini par cesser de te poser. Si tu t’ouvres à nous et à ta propre condition, plus jamais tu ne ressentiras ce sentiment de solitude car, alors, tu ne seras plus seul. Mais surtout tu pourras enfin donner un sens à ta vie…

̶        Je me fiche de savoir comment vous savez tout ça sur moi, mais ça ne veut rien dire ! Ce truc est dingue ! L’homme regardait tout autour de lui, cherchant un soutien dans l’assemblée. Je ne vois pas comment vous pouvez donner du sens à tout ça !… » 

     Mais il n’en trouva aucun. Son cœur et son âme avaient tourné le dos à sa raison et même si tout cela ne tenait pas la route, même s’il ne pouvait l’accepter, c’était pourtant la première fois depuis bien des années qu’il se sentait compris.

 
Le scientifique.

 

     J’ai regagné l’assemblée et assisté à l’échange entre Aby et son détracteur. L’homme se tient juste à côté de moi. Il semble à la fois désabusé mais serein. Les paroles de l’adolescent l’ont visiblement touché. Il a l’air perdu. Je le prends par les épaules en lui tendant ma flasque : « T’inquiète pas mon vieux, ça fait toujours ça la première fois mais après on s’y fait ! » Il s’en saisit, l’air reconnaissant, porte la bouteille à ses lèvres et avale une bonne rasade dont il me recrache la moitié à la figure.

     « Mais c’est de l’eau ! me hurle-t-il.

̶        Désolé vieux, dis-je en m’essuyant le visage du revers de la manche, j’ai arrêté les soirées mondaines depuis un petit moment déjà. Le whiskey et les femmes ne faisait pas bon ménage chez moi ! »

     Encore plus dépité qu’avant, il tourne les talons et va s’isoler dans un coin.

     En le suivant du regard je remarque sur son chemin une femme qui semble observer l'ensemble de la réunion avec un certain détachement et un air amusé qui me séduit. Elle semble contenir une énergie débordante et je me dis que rester immobile ainsi doit lui demander un effort considérable. Ses courts cheveux noirs sont coiffés à la dernière mode. Elle se hisse de temps en temps sur la pointe des pieds pour mieux voir. Et je sens qu'elle a envie de s'appuyer sur les épaules de son grand voisin pour obtenir un meilleur angle de vue mais elle n'ose pas tout à fait. Du coup, elle tourne la tête, certainement pour chercher une meilleure place. Et à cet instant son regard croise le mien. Je lui souris. Son sourire en retour est un peu gêné. Peut-être le sentiment d'avoir été observée. Après avoir essayé une dizaine d’endroits, elle trouve finalement une place qui lui convient. Je ne l'ai pas quittée des yeux, mon regard attiré par je ne sais quel magnétisme.

 

Le barbouze.

 

     Sans savoir comment, je me suis retrouvé au sol, les côtes en feu et haletant à la recherche d’un filet d’air. Elle s’était retournée et son arme pointait déjà entre mes yeux. Le temps d’une dernière prière. Au moins, il y avait un prêtre pas loin. Elle appuya sur la gâchette. La balle vint se loger dans le sol, à quelques centimètres de ma tête. Phil venait de la heurter en pleine tête avec son boomerang. Il y avait au moins un avantage à connaître un aborigène. Elle s’est écroulée sur le sol, une plaie sanglante au front, à demi-consciente. Phil s’est approché. Avant qu’elle ait pu récupérer ses esprits, il lui a passé les bracelets et l’a bâillonnée. Quand j’ai eu récupéré mon souffle :

̶        Elle m’a eu par surprise.

     Un large sourire éclairant le Phil :

̶        Dis plutôt que tu n’as plus vingt ans et elle si.

̶        Tout de suite les mots qui fâchent. J’ai perdu la carte de mon club de gym.

̶        Allé, dépêche. Vaut mieux pas traîner ici.

̶        Nous avons transporté la jeune femme dans le 4x4 et pris la route. Après quelques kilomètres, nous avons pris un chemin de traverse qui se perdait dans le désert. À l’ombre d’un bloc rocheux rongé par le vent, nous nous sommes garés. Nous avons sorti notre invitée de la voiture et nous l’allons assise contre la paroi, lui enlevant son bâillon. Au travail !

̶        Nous avons besoin de réponses et nous espérons que vous voudrez bien nous en apporter sans qu’il soit besoin de recourir à des méthodes… un peu trop douloureuses.

̶        Je t’ai toujours dit que tu aimais trop faire des phrases, Paul, remarqua Phil.

̶        Alors, qui êtes-vous ? Et pourquoi avez-vous abattu ce type dans le hangar ? Et qu’est-ce que c’est que ces illuminés ?

     Elle resta muette, nous fixant sans broncher. J’ai poursuivi :

̶        Vous êtes avec Ken Jasper ?

     Elle s’est enfin décidée à ouvrir la bouche :

̶        Vous travaillez pour lui ?

̶        C’est moi qui pose les questions. Vous êtes avec lui ?

     Son regard s’est attardé sur moi.

̶        Oui. Détachez-moi.

̶        Vous n’avez répondu aux autres questions. Qu’est-ce vous êtes venue faire dans ce trou paumé ?

̶        Vous devez me laisser partir.

     Phil s’est esclaffé :

̶        Et moi qui pensais que les femmes n’avaient pas d’humour ?

̶        Attention, tu vas vexer Mademoiselle.

     Elle a poursuivi :

̶        Vous ne comprenez pas. Je dois retourner là-bas.

̶        Vous avez quelqu’un d’autre à liquider ?

̶        Si vous ne me laissez pas partir, il va y avoir un carnage.

 
L’adolescent / Le prêtre.

 

     Le père Abigâël reprit la parole :

     « Ce garçon, mon ami a su s’ouvrir à moi et à mon tour je lui ai donné ma confiance. Et même si le chemin parcouru fut difficile ; même si nous avons perdu des amis, des proches, j’ai toujours su que nous avancions dans la bonne direction… La route est encore longue mes enfants et c’est à vous désormais de nous faire confiance.

     « Confiance !!!… » lança un anonyme au milieu de la foule. Comment faire confiance à quiconque alors que les uns après les autres, les nôtres meurent ?

̶        Nous avons un devoir à accomplir et malgré les épreuves, il nous faut rester unis.

̶        Tu parles d’épreuves alors que je te parle, moi, de meurtres, d’assassinats ! De nos amis, nos frères qui se font tuer les uns après les autres !… Tu nous sers de beaux discours mais ce n’est que du vent ! Face au canon d’un flingue on sera toujours seuls !

̶        Et donc, qu’est-ce que tu vas faire ? Abandonner, baisser les bras ? Toi plus qu’un autre, Dan, tu sais ce que nous avons traversé ! Tu voudrais que tout ça reste vain ? Tu t’es cherché toute ta vie et maintenant que tu sais qui tu es, tu serais prêt à te renier juste parce que tu as peur de finir seul ? Je ne pense pas qu’Emma aurait voulu ça. »

     Le père Abigâël marqua une pause et l’adolescent choisit ce moment pour descendre de scène. « Tu sais bien que nous sommes avec toi, Dan ! » L’homme, visiblement touché, baissa peu à peu les armes pour finalement abdiquer. « Nous sommes avec chacun d’entre vous, ajouta le prêtre ouvrant grand les bras à l’attention de son auditoire. Désormais vous n’êtes plus seuls ! Et nous avons de grandes choses à accomplir ensemble. Un destin commun qui dépasse largement le cadre étroit de notre personne ou même celui de notre communauté. »

 

Le Barbouze.

 

̶        Il va falloir être plus explicite, miss. Qui sont ces gens ? Que font-ils ici ?

̶        Je ne peux pas vous répondre.

̶        Alors on va rester là.

̶        Non !

̶        C’est donnant-donnant.

̶        Elle est restée plongée dans ses pensées, cherchant une issue.

̶        Le temps passe, miss !

     Une minute encore. Elle a cédé.

̶        Je m’appelle Patricia Keller et ces gens sont… sont des envoyés.

̶        C’est-à-dire ?

̶        Ils ont un message à annoncer. Un message très important.

̶        Ouais, des tarés, quoi ! a conclu Phil.

̶   

 
L’adolescent / Le prêtre.

 

     L’homme de foi prit une pause et balaya la salle du regard avant de continuer… Au bas de l’estrade, telles les eaux de la mer rouge au passage de Moïse, la foule s’écartait devant le garçon qui avançait lentement vers Dan.     Entre temps, le prêtre avait repris son discours : « Certains d’entre vous continuent d’entendre cette voix qui leur martèle l’esprit dans l’espoir d’être entendue… Certains d’entre vous ont cru devenir fou… Certains d’entre vous cherchent encore des réponses : Vous vous demandez pourquoi vous ? Vous vous demandez ce que vous avez en commun ?… Nous sommes là pour vous répondre car nous sommes quelques uns parmi vous à avoir entendu son appel. Certains d’entre nous l’ont compris… Regardez votre voisin de droite puis votre voisin de gauche. Regardez autour de vous et ouvrez les yeux… Rappelez vous cette date : il y a quarante ans, jour pour jour… Nous sommes venus à ce monde... Nous sommes les messagers et nous avons… »

    

Le Barbouze.

 

̶        Et je suppose que ce n’est pas une coïncidence si la plupart de ces gars là-bas sont orphelins et nés le même jour ? Qu’est-ce qu’ils cherchent à faire ? Qu’est-ce qu’ils veulent ? C’est quoi cette réunion, une séance de recrutement ?

̶        Ce n’est pas une secte. Il faut absolument que vous me laissiez partir.

̶        Sinon quoi ? intervint Phil.

     Elle a eu un moment d’hésitation.

̶        Une bombe. Il y a une bombe.

̶        Qui l’a mise ? Ken Jasper ? Vous ?… Comment savez-vous ça ?

      Elle est restée un instant silencieuse.

 

L'adolescent / Le prêtre.

 

     Dans la salle chacun s’observait. Certains se connaissaient déjà et savaient. D’autres comprirent enfin. Mais tous prirent conscience à cet instant précis de faire partie d’un ensemble et d’appartenir à quelque chose de plus grand. Leurs destins étaient liés depuis le début. Une émotion intense émana de l’assemblée.

     Au milieu du bar, l’adolescent tendait la main à l’homme qui, quelques minutes plus tôt, avait interpellé le père Abigâël. A son tour, presque résigné, Dan fit un pas vers le garçon quand soudain…

 

Le barbouze.

 

̶        Tu as entendu ce que t’a demandé le monsieur ? a insisté Phil. Qui a placé cette bombe ?!

̶        Ceux qui veulent se débarrasser des messagers.

̶        Et pourquoi ils voudraient faire ça ?

̶        Je vous l’ai dit, ils ont un message…

̶        Et alors ?!

̶        Écoutez, on n’a pas le temps !

̶        Eh bien on va le prendre ! intervient Phil. C’est quoi ton rôle dans toute cette histoire ?

     Il y a eu quelques secondes de silence et en l’empoignant par les cheveux, Phil a répété sa question.

̶        …Je travaille pour l’Organisation... Avec Jasper nous avons pour mission d’assurer la protection des messagers. Le type que j’ai éliminé fait partie de l’équipe qui a posé les bombes. Vous ne m’avez pas laissé le temps de finir mon travail… Il y a d’autres charges !

̶        Et qu’est-ce qui me dit que vous ne racontez pas des cracks juste pour que nous vous libérions ? Si vous voulez que je vous croie il va falloir développer ! Qu’est-ce que c’est que cette organisation ?

̶        Puisque je vous dis qu’on n’a pas le temps de se raconter nos petites vies !… Tous ces gens vont mourir si on ne fait rien ! Aidez-moi à désamorcer cette bombe et je vous dirai tout ce que je sais.

     J’ai regardé Phil. Il avait l’air sceptique mais, d’un haussement d’épaule m’a laissé la décision. J’ai cédé. Sans la détacher, nous l’avons conduite à la voiture. Nous avons rebroussé chemin, filant à vive allure, au milieu des incantations de Melle Keller :

̶        Plus vite ! Plus vite, je vous dit !

     Enfin nous sommes arrivés en vue du village. Nous y avons cru. Avant de voir s’élever un champignon de poussière dans le ciel. Avant que la détonation ne nous écrase les tympans.

 

L’adolescent / Le prêtre.

    

     La scène était surréaliste. Les corps et les cris, les images et les sons se mêlaient dans un maelström macabre. Aucune table n’avait résisté au souffle de l’explosion. Des morceaux de bois longs comme le bras avaient transpercés quelques corps et d’autres s’étaient enfichés dans le comptoir. Les fenêtres avaient volé en éclats et des bris de verre, déchiqueté les vêtements des personnes se trouvant à proximité. Les cadavres recouvraient le plancher de la salle ; les morts enchevêtrés aux vivants… blessés, brûlés ou mutilés.

     Dans cet enfer, un garçon était resté debout au milieu de la salle, immaculé.

     Et sur l’estrade écrasée par les poutres et les débris, un homme dont l’habit noir était complètement recouvert de poussière tentait péniblement de se relever. Tout tournait autour de lui : les corps et les cris… Les images et les sons lui paraissaient lointains, diffus… pourtant la scène était bien réelle.

Il tenta de se redresser... Mais soudain, il sombra. Il n’y eut plus aucune image et les sons se firent de plus en plus lointains, de plus en plus diffus, jusqu’à ce qu’il n’entende plus que le silence.

 

Le scientifique.

 

     Mon bras droit me fait mal. Je crois qu'une planche est tombée dessus. J'attrape un mouchoir dont je me couvre le nez pour ne pas trop respirer la poussière de l'explosion le temps qu'elle retombe. L'air se clarifie et je commence à distinguer quelques formes parmi les gravats. Les personnes qui n'ont presque rien commencent à se relever. J'en fais de même.
Au moins mes deux jambes sont intactes ! Ce n'est pas le cas de la femme aux cheveux noirs que j'avais remarquée. Tout en me tenant le bras, je m'approche d'elle. Je n'entends pas le bruit de mes pas. La détonation a dû bousiller mes tympans. J'espère que ce n'est que temporaire.

     J'essaie quand même de lui adresser quelques mots :

« Vous allez bien ?

̶        Je crois que cela irait mieux sans ça... »

     Son regard désigne un madrier en travers de ses jambes.
J'essaie de soulever la poutre avec mon bras gauche. Ma première tentative lui arrache une grimace de douleur. Alors je procède plus lentement. Mais mon bras fatigue : « Je vais lâcher !... » J'essaie de m’aider de mon bras blessé pour dévier la poutre afin qu'elle ne retombe pas sur ses pieds. Instinctivement elle replie ses jambes, ce qui lui cause un hurlement de douleur que j'entends parfaitement. Mais la masse de bois retombe à côté.

     « Vous faites toujours souffrir les femmes ? » me dit-elle avec un regard faussement sévère. »

     J'aime bien cet humour noir. Je lève la tête pour ne pas qu'elle sente mon émotion. « D'habitude pas de cette manière. Ne vous en faites pas. Je les secours vont arriver. Je vais chercher quelqu'un qui pourra s'occuper de vous. »

     Quelques minutes plus tard, je suis à ses côtés dans l’ambulance qui la conduit à l’hôpital. Je lui tiens la main et elle s’y accrochera jusqu’au bout…

 

"Flash spécial"

    

     « On nous informe à l’instant qu’une vague d’attentat semble avoir été orchestrée à l’échelon mondial. Toutes les capitales mais aussi les grandes villes des pays les plus importants ont été touché par des explosions en masse, causant la mort de milliers de personnes. Pour le moment, ces actions n’ont pas encore été revendiquées mais certaines pistes avalideraient la thèse de l’attentat. Selon des sources proches du gouvernement, la piste d’un suicide collectifs de masse instrumenté à l’échelon mondial est la plus plausible. « La secte de Jarel » serait dans le collimateur d’intercop. »


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