Un jour peut-être - ANNÉE III (1ère partie)

L’homme de foi

 

          J’ai toujours été en marge… En marge de la société, en marge de ma famille d’adoption, en marge de l’église, mais pour la première fois de ma vie, je m’apprête à aller bien plus loin encore.

     Demain je serai en marge de la loi des hommes…

     Et comme à chaque tournant de ma vie, je cherche un exutoire dans l’écriture. Mais comme souvent, les mots ne viennent pas. Alors je parcours mon journal… et tourne les pages à la recherche de l’absolution qui ne vient pas…  

       « Demain.

     Demain, je le vois.

     Tous ces mois passés à le chercher et enfin je l’ai retrouvé… »

      « Cet endroit est pire encore que ceux que j’ai visités jusqu’ici. En traversant le long corridor j’ai eu l’impression de pénétrer dans ma dernière demeure, comme si jamais je n’en reviendrai. Tout au bout, des portes battantes s’ouvrent sur une grande salle séparée en deux par une vitre en plexiglas, séparation obligatoire, paraît-il pour notre propre sécurité. C’est la salle des visites. Impersonnelle, froide, aseptisée.

     Je le reconnais à peine… Il est là au milieu de ces âmes égarées. La tête légèrement penchée, dodelinant telle une coquille vide. A force de persuasion, on m’autorise à franchir la barrière. Je m’assois en face du jeune homme. Il ne me voit pas. Il ne sait même pas que je suis là… (…) »

      « Notre premier échange depuis trois semaines que je lui rends visite chaque jour et il ne dit qu’un mot : Alma… »

      « Il sait enfin qui je suis. Je lui ai parlé de notre dernière rencontre, de sa confession juste après cette rixe qui l’avait tout droit conduit en prison. Je lui ai dit aussi que ce n’était pas la première fois que nous nous voyions ce soir là. Je lui ai raconté notre première rencontre dans ce fameux bar il y a près de trois ans… Ses souvenirs sont encore confus et ses idées ont du mal à se mettre en place mais mon histoire lui est familière. Je le vois bien sur son visage. Il tente de se rappeler. De faire le tri dans son esprit mais il est harcelé par cette voix qui ne l’a pas quitté depuis. J’aimerais lui parler d’elle, j’aimerais lui dire que j’ai, moi aussi, entendu quelque chose dans ce bar… savoir enfin s’il s’agit de cette même voix et pourquoi lui l’entend toujours. Mais il est trop confus pour l’instant. Je dois être patient. Le jour viendra… »

     « Je lui ai donné un sac en plastique et lui ai montré où le cacher et comment s’en servir. Depuis, il est beaucoup plus vif et lucide mais il est encore perturbé.

     Je fais pour lui ce que j’ai toujours eu du mal à faire pour moi. Je l’aide à rassembler les pièces de sa mémoire.

     Je suis parvenu à instaurer un climat de confiance entre nous et de réels liens commencent à se tisser. Mais je ne peux pas lui parler de la voix, c’est encore trop tôt… »

     «  Les souvenirs que j’ai fait remonter à la surface sont autant de fardeaux à porter. Il me dit qu’il ne peut s’empêcher depuis que je lui ai raconté sa confession à l’église, de penser à ce soir ou il a frappé cet homme à mort. Il a désormais des images claires de la scène… Des images qui ne le quittent plus… Mais ce ne sont que des bribes… des flashs qui ne font pas encore toute la lumière sur la réalité. Je le réconforte comme je peux mais il ne veut pas me croire…

-         Il n’est pas mort, mon fils ! Il s’en est sorti !

-         Non, je vous crois pas ! Vous dites ça pour que j’ai bonne conscience ! Qu’est-ce que vous cherchez à faire ?… Je sais bien que je l’ai tué. J’ai passé près d’un an en prison à cause de ce que j’ai fait… Et vous arrivez trois ans après, vous dites me connaître et vous me balancez que tout ça est faux ! Pourquoi vous faites ça ?! Qu’est ce que vous attendez de moi ?…

-         Je te dis juste ce qui est, il n’est pas mort. Et tu as fait ce qu’il fallait…

     Je ne sais que dire pour qu’il aille mieux. J’ai parfois l’impression que cette confiance que j’ai eu tant de mal à instaurer est aussi fragile que les ailes d’un papillon et qu’au moindre faux pas elle se brisera.

       « Je ne suis pas venu seul aujourd’hui. Grâce à mes talents de persuasion, on m’a autorisé à venir accompagné…

-         Je te présente Graham Wyms. Vous ne vous êtes jamais rencontrés mais lui te connaît et il a quelque chose à te dire…

     L’homme qui m’accompagnait a sorti une photo de son blouson en cuir. Une photo de lui et d’une femme joue contre joue. Lui est vêtu d’un costume noir et d’une cravate blanche, elle porte une longue robe de soie blanche. Il est accroupi et elle assise dans un fauteuil roulant. Il a donné la photo au jeune homme qui l’a regardé l’air étonné.

-         C’est ma femme. On s’est mariés il y a deux mois. Et cela n’aurait jamais pu se faire sans vous.

Le regard de l’adolescent passe de lui à moi. Il cherche à comprendre mais reste circonspect. Je l’encourage à écouter ce que l’homme a à dire :

-         C’est l’un des jeunes de notre quartier... c’est l’un d’eux qui a fait ça. Il a marqué une pause. A chaque fois qu’on passait devant eux, lui et sa bande de copains nous insultait et nous rabaissaient. Ils nous traitaient de tous les noms et m’interpellait moi : "Eh, le négro !" Voilà comment ils m’appelaient : le négro. Ils nous manquaient de respect chaque jour que dieu faisait mais je ne répondais pas car je voulais protéger ma femme.

L’homme, est gagné par l’émotion, les larmes lui montent aux yeux, mais il continue :

-         Puis, un jour, elle m’a avoué s’être fait chahutée… Mais je suis sûr qu’elle ne m’a pas tout dit… J’ai voulu aller les trouver et leur donner une bonne leçon mais ma femme s’y est opposé. Elle craignait que ça n’aggrave les choses. Alors je n’ai rien fait… Pourtant c’est allé bien plus loin… Et vous comme moi savons que si vous n’aviez pas été là ce jour là, cette photo n’aurait jamais existé… »

 

     « Ses souvenirs sont clairs désormais. Il commence peu à peu à accepter son passé. Nous avons de véritables échanges. Nous conversons des heures et des heures ; de son vécu, de ce qui l’a conduit sur la route, puis des chemins de vie. Je lui parle du destin, des raisons qui nous poussent à suivre une route plutôt qu’une autre et de Dieu qui est en chacune de nos décisions. Lui me parle de sa quête personnelle… De cette femme qu’il a cherché si longtemps pour comprendre un jour qu’elle n’avait jamais existé. Il a toujours sur lui cette vieille photo sur laquelle il joue avec une jeune femme sur les marches d’une bâtisse. Je sais que dès qu’il est seul, il peut passer des heures à l’observer. Il a accepté il y a longtemps déjà que la personne sur la photo n’était pas celle qu’il croyait mais il continue d’espérer que quelque part une mère attend désespérément son fils… Il l’a appelée Alma…

     C’est le moment…

-         Mais, n’est-ce pas le nom que tu as donné à cette voix que tu entends ?…

-         Ce n’est pas moi qui lui ai donné ce nom. C’est son nom !

-         Tu te souviens de la première fois que nous nous sommes vus ?

-         Dans le bar ?

-         Oui.

-         Oui, je m’en souviens.

-         C’est ce jour là que tu as entendu cette voix pour la première fois, pas vrai ?

-         Je crois oui.

-         Et si tu penses que c’est bien cette même voix qui te parle depuis, alors tu dois aussi te rendre compte que tu n’es pas le seul...

-         Vous aussi… Vous l’avez entendue ?

-         Oui, j’ai entendu quelque chose… Et rappelle toi, il n’y a pas que nous… D’autres ont vécu la même expérience ce jour là, on peut en être certains. Donc si pour toi, la voix dans ce bar est la même que celle qui te parle depuis, cela ne peut…

-         …Cela ne peut être ma mère…

-         Non, je ne pense pas, fils. C’est autre chose et s’il s’agissait bien d’une voix à l’époque, je me suis toujours demandé pourquoi seulement certains d’entre nous l’avaient perçue… Si elle nous as choisis, peut-être alors a-t-elle quelque chose à nous dire… Mais quoi ?… Durant mes conférences j’ai rencontré d’autres personnes à travers le pays qui m’ont dit avoir entendu, ce même jour, la parole de Dieu mais tu es le seul qui n’a jamais cessé de l’entendre…

-         Vous pensez que Dieu me parle ?

-         Je suis homme de foi et en tant que tel, je dois être en paix avec moi-même. Or, depuis ce jour, je fais des rêves dans lesquels j’entends cette voix et te vois, toi. Je suis homme de foi et je pense qu’il n’y a ni hasard, ni coïncidence. Le destin n’est qu’une des nombreuses manifestations du boss là-haut. Je pense qu’il était écrit que nous nous rencontrions… Nous devions nous retrouver et si il te parle, alors tu es le seul aujourd’hui à pouvoir comprendre son message… 

     Je lui dis le discours à tenir si on lui pose des questions au sujet d’Alma ou de nos discussions. Personne ne doit savoir… »

  « Depuis des mois que nous discutons ensemble, il a beaucoup progressé. Il semble plus serein, plus confiant. Nous cherchons les réponses ensemble et plus les jours passent et plus je suis persuadé que ce jeune homme a quelque chose à accomplir. Il est d’ailleurs de plus en plus difficile de discerner de nous deux qui montre la voix à l’autre. Il est parvenu à dompter la voix et j’ai même l’impression parfois qu’il lui parle, comme si elle pouvait lui répondre…

Quant à moi, mes rêves se sont espacés. Ils sont devenus moins sombres, moins torturés. Il pense que j’ai aussi une part à accomplir dans ce destin déjà en marche… Je pense, moi, que le message, lorsque nous en aurons compris le sens changera notre perception du monde et si mon destin est de le révéler aux hommes, alors je suis prêt. »

  Oui, je suis prêt… Mais comment continuer si l’on ne peut plus échanger ?! On m’a fait savoir, lors de ma dernière visite, que j’avais désormais l’interdiction formelle de l’approcher. L’ordre venait apparemment de très haut. Certainement le petit curé de l’hôpital qui avait fait son rapport aux autorités supérieures. Mais en quoi mes visites pouvaient bien les gêner ?!

En réalité, peu m’importait. Je lui ai dit que je serai là et je respecterai ma parole.

 

Demain… 

  

Le scientifique

 

     J'arrive devant la machine à café pour prendre ma dose quotidienne de ce liquide noir sensé réveiller mes neurones. Je fais dissoudre le sucre en regardant à travers la vitre, le vent secouer les branches des arbres dans le parc. Des collègues me rejoignent. Je me demande s'ils ont trouvé une plaisanterie plus originale ou s'ils se sont lassés. Et non ! Pour la dixième fois, j'y ai droit : « Et la prochaine fois, tu nous montreras ton derrière à la télévision pour illustrer les trous noirs ? »

     Les railleries de mes collègues ne sont qu'une des nombreuses conséquences qu'a eu mon passage à la radio. La première a été : "Alors tu as préféré aller faire le clown à la radio plutôt que de publier dans une revue scientifique ?" Bien sûr que j'avais envoyé mon article dans des revues sérieuses. J'aurais dû passer après la publication. Mais le calendrier s'est trouvé bousculé : la revue tardait à me publier alors que la radio m'avait contacté pour remplacer au pied levé un politicien qui s'était décommandé à la dernière minute.

     Quant aux pontes de l'université, ils n'apprécient pas en général ce genre de fantaisie. Il a donc sûrement fallu une pression politique importante pour qu'ils m'accordent, à contrecœur, un budget de recherche plus important. Heureusement que nos dirigeants se soucient davantage de la ferveur populaire ! Donc, depuis quelques temps, on peut dire que j’ai les moyens ! Deux assistants, Su-zan et Luka, des télescopes en pagaille, des heures d'observation avec les plus grands d’entre eux pour étudier Alta et même des satellites, carrément mis à ma disposition. Par contre, pas question pour l'instant de mettre un télescope en orbite. C'est beaucoup trop cher et il y a "d'autres priorités".

     Mais ce projet me tient toujours à cœur. J'ai donc donné, de manière non officielle, une deuxième mission à Luka : concevoir les adaptations à apporter au capteur qui m'a permis la découverte d'Alta, pour qu'il puisse être embarqué dans l’espace.

     Ce début de notoriété commence à se ressentir dans ma vie privée, et je dois l'avouer, de manière plutôt agréable. Ma vie sentimentale qui était un désert commence à se parsemer de quelques oasis. Il y d'abord eu cette femme que j'ai rencontrée dans un bar, un soir de déprime. Lorsque je l'ai vue la première fois, j’ai tout de suite ressenti chez elle quelque chose de familier et je pense qu'elle partageait ce sentiment. Nous étions proches l’un de l’autre et j’ai très vite eu confiance en elle. Du coup, je me suis confié… Surtout sur mon travail et un peu sur ma vie personnelle. Avec du recul je me rends surtout que j’avais besoin de faire confiance à quelqu’un. Besoin de me livrer depuis très longtemps. Et, l'alcool aidant, le flot a coulé et coulé.
Nous nous sommes très vite entendus. Mais cela n'a pas tourné à la passion. Peut-être n'étais-je pas prêt… Non je crois plutôt que j'ai avec elle une vraie complicité. J'avais juste espéré un temps qu'elle se double d'une attirance physique. Mais non. Alors elle a été ma confidente. Je me suis tellement senti à l'aise avec elle que nous pouvions rester des heures à discuter alors que je suis si peu bavard d'ordinaire. Et puis elle a eu le mérite justement de s'intéresser à mon travail bien avant qu'il soit rendu public. Cela me faisait du bien de lui expliquer, aussi bien des notions scientifiques, que les étapes de mon raisonnement et mes résultats. Elle contribuait à clarifier ma pensée et mon propos. Aujourd'hui encore je la vois régulièrement, mais de moins en moins, car j'ai de nombreuses occupations et de nombreuses tentations...
     J’ai d'abord rencontré une certaine Clara. C’était lors d’une énième soirée mondaine. Je me suis laissé charmé par l'apparente innocence de ses grands yeux bleus. Elle était très attentionnée à mon égard et cela me faisait du bien, jusqu'au moment où je pris conscience qu'elle voulait la lune, au sens pécuniaire du terme. L'expression haineuse de son visage lorsqu'elle a senti que je lui échappais m’a vacciné à tout jamais de ce genre de personnage et du le monde des paillettes, du moins je le croyais...

     Rita disait d'elle : "Cette fille comblait les carences affectives de ton enfance". Rita étudiait la psychologie et la psychanalyse. J'avais beau être physicien de formation, et Rita spécialiste de l'esprit, c'est elle qui avait fait le plus pour l’"éducation physique" de ma modeste personne, me montrant notamment combien le mental pouvait gouverner les choses du sexe. Mais cette relation ne tint pas.

     Comme je le disais, j'avais de nombreuses sollicitations et de nombreuses tentations. Ma première prestation radiophonique avait donné l'image d'un "bon client" et je portais un sujet à la mode. Je devenais "tendance", alors je recevais de plus en plus d'invitations pour des happenings, des soirées dansantes, des inaugurations diverses. Je n'en refusais aucune, porté par ma curiosité et l'idée qu'il fallait que le maximum de gens s'intéresse à ALTA. Je commençais à ressentir que c'était mon destin.

       Pendant ce temps, mes assistants travaillent bien. Heureusement, car je passe moins de temps au labo qu’en soirée. Il faut dire que Su-zan et Luka sont aidés dans leurs travaux par toute une communauté virtuelle qui s'est constituée autour d'ALTA. Des internautes de toutes professions échangent leurs théories, leurs questions sur l'exo planète. Ce qui aide beaucoup Luka pour la conception du capteur en orbite. Il y a aussi des farfelus qui imaginent que vivent sur ALTA les formes de vie les plus invraisemblables. Et des philosophes qui débattent de questions telles que "Sommes-nous prêts à dialoguer avec une autre forme d'intelligence ?" "Est-ce que des aliens nous trouveraient plus avancés que des fourmis ?". Les quelques voix qui rappellent que : "S'il y a une vie sur Alta, il est beaucoup plus probable qu'elle soit plus proche d’une bactérie que d’un homme" ont du mal à se faire entendre. "S'il y a une vie sur ALTA"… Cet éventualité que beaucoup de personnes commence à espérer est encore à démontrer. Et je ne doute pas, qu'en ce jour, chaque membre de la communauté altaphile soit devant son ordinateur. Car c'est la date à laquelle, selon mes premières observations, ALTA doit repasser entre son étoile Ceterli et notre planète. Et avec le nombre de télescopes de tout type qui sont braqués dessus, nous allons sûrement en apprendre beaucoup dans les heures qui viennent.

     L'équipe est réunie dans le laboratoire. Su-zan est connectée à distance au télescope COBA qui est installé en altitude pour diminuer les perturbation dues à l'atmosphère de notre planète. Elle vérifie le calibrage du spectroscope monté sur le COBA. C'est lui qui va analyser la lumière de Ceterli lors de son passage. On espère capter un peu de la lumière de l'étoile qui sera passée à travers l'atmosphère d'Alta. Une partie de cette lumière aura été absorbée par l'atmosphère d'Alta, ce qui prouvera déjà qu'Alta a une atmosphère, et nous renseignera sur la composition de celle-ci. Luka s'occupe quant à lui de la communauté altaphile : il sera tenu immédiatement au courant si un autre instrument trouve quelque chose d'intéressant. Et moi… Eh bien, je surveille la courbe de luminosité de Ceterli.

     Après 3 heures d'attente, Alta est au rendez-vous : la courbe s'infléchit vers le bas, signe qu'Alta passe entre nous et son étoile. Avant que la courbe remonte Suzan a le temps de capturer 2 fois le spectre de l'ensemble Ceterli plus Alta. Ils ont l'air identiques. C'est bon signe. Ca veut dire qu'il n'y a pas eu trop de perturbations. Il est temps maintenant de faire travailler les ordinateurs. Je lance le programme qui va faire la différence entre le spectre de l'étoile Ceterli seul et le dernier spectre avec la planète et son étoile. Le résultat a l'air d'une ligne presque droite. C'est normal, Alta est toute petite par rapport à son étoile. Je zoome pour agrandir les pic et les creux. Il y a surtout des creux qui correspondent aux longueurs d'onde qui ont été absorbées par des molécules présentes dans l'atmosphère. Le logiciel affiche cette correspondance et je compare à la composition de notre atmosphère. Le résultat ne m'étonne pas mais il va en décevoir certains. La courbe ressemble beaucoup à celle de notre atmosphère. Ce qui peut vouloir dire deux choses : soit qu'ALTA n'a pas ou peu d'atmosphère. Ce qui impliquerait qu’il y ait peu de chance pour qu'elle abrite une vie élaborée. Soit que son atmosphère est de composition comparable à la nôtre. En effet la lumière que nous venons d'analyser a traversé les deux atmosphères. Les gaz de notre atmosphère ont donc absorbé certains rayons lumineux, comme peut-être les mêmes gaz sur ALTA. On ne peut donc s'en servir pour mesurer la concentration sur ALTA des gaz que nous respirons.

     C'est pour cela que j'essaie de faire aboutir ce projet de satellite, qui pourra entreprendre la même analyse que nous venons de faire mais sans l'obstacle que représente notre atmosphère.

     Ce dont nous pouvons être sûr, par contre, c'est que l'atmosphère d'ALTA n'est pas saturée de gaz toxiques comme tous les satellites que nous avons sondés et qui sont donc impropres à la vie telle que nous la connaissons.
Luka me demande : « Qu'est-ce qu'on dit à la communauté ?

̶        Pour pouvoir conclure, je dois zoomer encore plus pour voir des petits creux qui pourraient révéler des petites différences entre les deux atmosphères... Oui !! Là, j’en vois ! Il y a des petites creux plus prononcés… Dis-leur que ALTA était au rendez-vous, que les appareils de mesure ont bien fonctionné et que l'analyse des données va commencer. »

 

L’adolescent

 

     Lorsqu’il ouvrit les yeux, il eut l’impression de flotter au milieu d’une grande pièce vide. Les murs dansaient tout autour mais lui ne parvenait à bouger le moindre muscle. Il entendait des sons diffus, comme des voix qui s’entremêlaient mais ne discernait que des ombres en mouvement. Il se concentra du mieux qu’il put pour trouver un sens à tout ça : Où était-il ? De qui étaient ces voix ? Que disaient-elles ? Il essaya, de toute la force de sa volonté… et finit par comprendre quelques mots « s’il le voit comme ça… », puis quelques phrases… « … Faut qu’on fasse quelque chose !… Vous n’y êtes pas allé mollo cette fois ! » jusqu’à ce qu’il parvienne enfin à déchiffrer l’ensemble de la conversation :

     « Depuis combien de temps est-il dans cet état ? demanda l’un des trois hommes penchés au dessus du lit à roulettes.

̶     Quelques heures, répondit le deuxième.

̶     Bon, faites en sorte qu’il soit sur pied dans une heure. Et qu’on n’ait pas l’impression d’avoir affaire à un légume ! Le directeur veut avoir une petite conversation avec lui.

̶     Vous voulez qu’on le passe à la douche ? s’enquit le dernier.

̶     Faites ce qu’il faut.

̶     Entendu. »

     Les deux hommes en blouse blanche détachèrent les sangles autour des bras de l’adolescent et le conduirent jusqu’en dehors de la petite salle aux murs capitonnés.

       Alors que le jet d’eau martelait chaque partie de son corps recroquevillé, les dernières brumes de son esprit se dissipèrent et tout lui revint : sa tentative avortée d’entrée par effraction dans le centre de recherche ; ses appels répétés à l’université pour obtenir un rendez-vous avec le Dr Lightman ; les menaces qu’il avait réitérées à l’encontre de ses différents interlocuteurs jusqu’au jour où il était enfin parvenu aux portes du laboratoire… Malheureusement, alors qu’il s’était trouvé à seulement quelques mètres du chercheur, trois molosses lui étaient tombés dessus. Il s’était réveillé quelques jours plus tard dans une pièce semblable à celle dont on venait de l’extraire, sans le moindre souvenir de ce qui s’était passé durant ce laps de temps, avec la même impression étrange de flotter dans l’espace et ce mal de tête horrible qui "bizarrement" l’avait quitté il y a peu.

     Une fois le jeune homme décapé, les infirmiers le raccompagnèrent jusqu’à sa chambre :

     « Allé, on va te faire une beauté. Il paraît que le directeur veut te voir !… »

     Le directeur était un homme intelligent qui jugeait sur les résultats et non sur les discours. Idéaliste, mais avec une conception de l’éthique plutôt malléable. Bardé de diplômes, il dirigeait son établissement d’une main de fer mais fermait volontiers les yeux sur les agissements de certains de ses subordonnés tant que des progrès étaient visibles chez ses "pensionnaires". En d’autres circonstances le jeune homme aurait sans doute pu lui trouver quelque qualité, lui qui n’avait jamais connu de figure paternelle mais ils avaient, en l’occurrence, deux visions totalement opposées du monde qui les entourait : le premier guidée par la science et le second, par la foi. Le chef d’établissement avait une idée en tête et rien ne pourrait l’en faire changer, le jeune homme le savait.

      Après l’avoir habillé, on l’installa dans un fauteuil roulant et le conduisit jusqu’au bureau du directeur. Un pan de mur entier était quasiment recouvert de ses diplômes et autres prix de publication et sur son bureau impeccablement rangé trônait un lourd presse-papier sur lequel était inscrit : "La fin justifie les moyens.".

     « Qu’en pensez-vous ? demanda le directeur sans lever les yeux du dossier dans lequel il était plongé. 

̶     Qu’est ce que je pense de quoi ?

̶     Que pensez-vous de cette maxime ? »

     L’adolescent se disait que pour son interlocuteur la réponse était évidente. Mais d’une certaine façon ne suivait-il pas la même devise depuis près de trois ans ? Malgré ses doutes et ses incertitudes, il ne s’était jamais posé de questions sur les moyens. Il s’était fixé un but et avait tout fait pour l’atteindre, quitte à finir prisonnier derrière les barreaux d’une cellule.

     Et voilà où tout cela l’avait conduit !…

     Tout ce chemin parcouru pour se retrouver de l’autre côté du miroir... Mais était-ce un mal ou un bien ? Sa vie n’avait jamais été simple et l’avenir que le destin semblait lui avoir réservé ne l’était apparemment pas davantage. Mais s’il n’était pas passé par toutes ces épreuves, serait-il parvenu à avoir conscience de qui il était au plus profond de lui ? Aujourd’hui, il savait enfin pourquoi il était différent des autres... Aujourd’hui il savait que son chemin était tracé…

̶     Je pense qu’un jour vous comprendrez que vous pouvez vous tromper !

̶     Et vous ?

̶     Quoi, moi ?

̶     Ne pourriez-vous pas vous méprendre ?

̶     Je vous ai dit que je ne l’entendais plus.

̶     Oui, mais si vous entendiez cette voix c’est bien qu’elle existait, n’est-ce pas ? Vous nous avez dit qu’elle s’adressait à vous, ce n’était donc pas une simple entité mais bien une personne, non ?

̶     Non. Je sais bien que non…

̶     En êtes-vous bien certain ?

̶     Il n’y a que les fous qui entendent des voix, docteur…

̶     Je ne peux que me satisfaire de votre changement de comportement jeune homme, pourtant il y a toujours une part de moi qui se demande si vous ne me dites pas juste ce que j’ai envie d’entendre. Et qu’en est-il de votre mère ?

̶     Je n’ai pas de mère.

̶     Et Alma alors ?

̶     Alma n’existe pas.

̶     Mais apparemment Alta existe ! Que ferez-vous lorsque vous sortirez d’ici ?

̶     Un ami m’a proposé de m’héberger. Je pense que je vais accepter.

̶     Bon. C’est bien que vous ayez un soutien à l’extérieur.

     L’homme observa attentivement son interlocuteur quelques longues secondes sans dire mot puis il reprit : « Très bien, jeune homme. Je vous informerai de ma décision dans le courant de la journée. En attendant vous pouvez regagner votre chambre ! »

     Le directeur appela l’infirmier qui était resté à la porte et lui fit signe d’emmener l’adolescent.

     Ce n’était pas la première fois que ce dernier passait ce genre d’entretien et il n’avait jamais convaincu le médecin de son "rétablissement". Il se tenait devant la fenêtre de la salle principale, le regard perdu bien au-delà des barreaux, bien au-delà du petit parc et des grilles de l’hôpital. Il était loin, très loin dans l’espace et le temps lorsque soudain une voix vive et saccadée l’extirpa de ses pensées :

     « Alors, alors… alors ?… demanda un petit jeune qui devait avoir à peine quelques années de moins que lui.

̶     Du calme Maximo. Ne t’inquiète pas, je serai bientôt dehors.

̶     Il te lâche, hein, hein ? Dis, il te lâche ?

̶     Je ne sais pas mais je ne vais pas m’éterniser ici très longtemps.

̶     Oh, oh, oh, tu vas… tu vas te barrer ? Dis, tu m’emmènes, hein ! Tu m’emmènes pas vrai ?

̶     Tu sais bien que c’est pas possible.

̶     Mais si. Mais si. On est copains, hein ? Tu m’as dit qu’on était copains… Ca se lâche pas des copains, hein, ça se lâche pas ?

̶     Je reviendrai te chercher Max mais là il faut que je sois seul. »

     Le petit jeune fit la moue et baissa la tête. Plus un son ne sortait de sa bouche, comme un enfant boudeur à qui on aurait refusé un caprice.

     « Ecoute, je suis là pour l’instant et il n’est pas dit que je parte de si tôt. Mais je te promets que je reviendrai Max, je te le promets, dit le jeune homme en posant la main sur l’épaule de son ami. » D’un mouvement soudain, ce dernier la repoussa violemment et lui tourna le dos nerveusement.

     « Que se passe-t-il ici ? » demanda un infirmier qui passait avec un plateau recouvert de petits verres en plastique. « Toi, viens par là ! dit-il au jeune homme en l’éloignant du petit capricieux. C’est l’heure des médicaments. » Il tendit un verre à l’adolescent que ce dernier avala d’un geste vif avant de le rendre à l’infirmier. « Voilà c’est bien. A toi maintenant ! » ajouta-t-il en direction du boudeur. Le capricieux se retourna et en prenant son verre fit un petit clin d’œil  à l’attention de son ami.

     Le jeune homme lui sourit et s’éloigna discrètement. Il traversa la salle en direction des couloirs et parvint enfin à sa chambre. Il s’assit sur son lit, passa la main entre les lattes et le matelas qu’il creusa légèrement et en extirpa un petit sachet en plastique dans lequel il recracha les pilules qu’il avait coincées sous sa langue.

     « C’est bien. Tu seras bientôt dehors, dit la voix. Tu dois accomplir ton destin…

̶     Mais pourquoi ne me dis tu pas de quoi tu parles ?!

̶     Tu le sais déjà. Au fond de toi tu sais qui tu es. »

     Soudain, un homme se présenta à la porte de la chambre. L’adolescent eut tout juste le temps de cacher le petit sachet sous le matelas avant de se retrouver nez à nez avec le second du directeur. « Alors tu as bien dormi cette nuit ? J’espère que tu as apprécié ta petite douche matinale ! » lança-t-il, un léger sourire au coin des lèvres. « Habille toi, dit-il en lui lançant ses vêtements à la figure, il y a un curé qui veut te voir. Je vous ai mis une salle à disposition. »

     Le jeune homme sourit à son tour. Son ami, son père… La seule personne qui avait jamais été là pour lui avait tenu parole. Il était revenu. Il s’habilla avec empressement et suivit les deux infirmiers qui étaient venus l’escorter. Mais lorsqu’ils le firent entrer dans la petite salle réservée pour l’occasion, il perdit vite son entrain en constatant que l’homme qui se tenait, dos à l’entrée, le regard dirigé vers la fenêtre n’était pas celui qu’il croyait. L’homme à la soutane pourpre l’accueillit sans se retourner :

« Assieds toi mon enfant.

     Le jeune homme s’exécuta, méfiant.

̶     Tu dois te demander pourquoi je suis ici, n’est-ce pas ?

     Alors que l’homme d’église, avait le regard toujours dirigé au-delà de l’horizon, l’adolescent lui, ne le quittait pas des yeux.

̶     Nous avons suivi ton parcours avec le plus grand intérêt, tu sais. 

̶     Et en quoi mon parcours vous intéresse ?

̶     Tu sais bien que tu es quelqu’un de spécial et nous voulons être certain que tu suives le bon chemin.

̶     Et qui est ce "nous" dont vous parlez, mon père ?

̶     "Nous"… L’homme sembla hésiter… Eh bien, l’église, mon fils...

̶     L’église s’intéresse à moi ?

̶     Dieu s’intéresse au sort de chacun d’entre nous. Mais certains sur cette terre sont plus importants que d’autres... On m’a dit que tu entendais une voix ?…

̶     Non, j’ai cru entendre quelqu’un parler dans ma tête mais je vais mieux aujourd’hui.

̶     Et ne t’es tu jamais dit que cette voix pouvait être la manifestation d’une force supérieure ?

̶     C’est maintenant que vous allez me sortir vos boniments, mon père ? Chacun croit en ce qu’il veut. Vous avez vos convictions et j’ai les miennes !

̶     Et quelles sont-elles, mon fils ?

̶     Qu’à force d’être seul on finit par s’inventer des choses…

̶     Et on s’entoure aussi parfois des mauvaises personnes. Je pense que tu sais au fond de toi que nous ne sommes pas seuls… Et pense aussi que tu auras bientôt conscience de ton importance pour nous. Mais le jour où il te faudra choisir, alors j’espère que tu feras le bon choix. En attendant, ton enfermement a suffisamment duré, il faut désormais que tu nous rejoignes… »  

***

  « Comment ça, il est parti ?

-         Vous avez bien signé son autorisation, non ?

-         Je n’ai jamais rien signé du tout ! Il nous manipule depuis le début ! Il n’est pas prêt à sortir ! Où est ce fichu document ? Qui l’a fait sortir ?

-         Un homme d’église. Ils ont quitté l’établissement il y a une vingtaine de minutes, monsieur.

-         Je veux savoir exactement ce qu’il s’est passé, Vlad ! Et je peux vous assurer que des têtes vont tomber ! »

 

     Le bras droit du directeur sortit du bureau en ruminant : « Ce n’était pas ce qui était prévu ! Ca ne devait pas se passer comme ça… »

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