Un jour peut-être - Epilogue

Le barbouze

 

     Voilà. Tout est fini. Tout a été dit. Il ne reste plus qu’à jeter les derniers mots sur le papier. Le cadavre de la bouteille de whisky est affalé sur le canapé. L’aube pointe son nez à la fenêtre. J’ai les doigts engourdis d’avoir tapé toute la nuit et la mémoire retournée par tous ces souvenirs. Ma jambe me lance d’être restée trop longtemps inactive. Dernier cadeau de Melle Keller. Dans la fraction de seconde séparant le moment où j’ai appuyé sur la gâchette et celui où elle est allée s’effondrer, morte, elle avait réussi à retourner son arme et à me loger une balle dans la cuisse. C’était vraiment une guerrière remarquable. Dommage qu’elle ait choisi le mauvais camp.

     J’étais donc couché sur le toit à perdre mon sang quand un faisceau lumineux s’est élevé dans le ciel. Un fracas de cris et d’applaudissements a retenti. L’adolescent avait accompli sa mission. Le signal avait été envoyé. Pour le meilleur ou pour le pire.

     J’ai fait un garrot de fortune et je me suis traîné jusqu’au monte-charge. À bout de force, j’ai réussi à appuyer sur le bouton du rez-de-chaussée. Puis j’ai plongé dans le noir. Je me suis réveillé dans une ambulance, sirène hurlante. Un infirmier était assis en face de moi, tenant la poche de perfusion. À côté de lui, un visage familier. Ken Jasper. Ou avais-je rêvé ? J’ai replongé dans la nuit.

     Nouveau retour à la conscience dans une chambre d’hôpital. Dans un angle de la pièce, un homme était confortablement installé dans un fauteuil molletonné. Il lisait tranquillement son journal. J’avais la gorge sèche et j’ai été pris d’une quinte de toux. L’homme s’est tourné vers moi. Inconnu au bataillon. Il a posé sa feuille de chou et est sorti de la pièce. Quelques instant après, une infirmière est arrivée. Elle m’a donné à boire. L’homme est revenu et a repris sa place dans le fauteuil.

̶        Qui êtes-vous ?
     Pour toute réponse, il a repris sa lecture. En une, la photo d’un vaisseau dans le ciel. Ils étaient donc là ! 

     Je commençais à m’habituer à la présence silencieuse de mon compagnon de chambrée quand il s’est soudain dressé d’un bond. Quelqu’un venait d’entrer dans la chambre. Le Conseiller Kuiper arborait toujours son sourire satisfait.

̶        Vous pouvez nous laisser, a-t-il dit à mon gardien, qui s’est aussitôt exécuté.
         Le Conseiller a rapproché le fauteuil du lit et s’est assis. 
̶        Vous êtes un héros désormais Mr Herbert. Votre intervention in extremis pour déjouer la tentative d’assassinat du Messager est dans tous les journaux.

̶        Il va falloir que je fasse un régime, j’ai dû prendre du poids, ai-je répondu en jetant mon regard sur l’immense vaisseau en une du journal posé sur la table.

     Ça a fait rire le Conseiller Kuiper. Décidément, il est bon public. Il m’a ensuite raconté les événements qui ont ponctué la cérémonie. 

     Après avoir lancé le signal de bienvenue, l’adolescent a fait un malaise et a dû être ramené dans sa loge. Il était à bout de force. Sa mission s’achevait et il brûlait ses derniers feux. Dans un souffle, il a révélé la trahison du Grand Évêque, montrant les boutons de manchette gravés aux insignes de l’état pontifical. Le Conseiller Kuiper en a immédiatement informé les membres du conseil et ensemble, accompagnés de la garde prétorienne, ils se sont rendus en délégation à la loge présidentielle. Il n’y a pas eu de résistance de la part des deux gardes à l’entrée. N’ayant pas de réponse, il a fallu défoncer la porte verrouillée. À l’intérieur de la pièce, le Grand Évêque gisait dans une mare de sang. Le conseiller Kuiper m’a expliqué qu’il existait sur leur planète une très ancienne coutume qui veut qu’en cas de déshonneur, un homme commette un suicide rituel. Avant de mourir, il avait laissé une note, crachant une dernière fois son venin :

     « J’ai voulu vous sauver malgré vous. J’ai échoué. Je ne cautionnerai pas l’abêtissement de notre race par ses rebuts de l’humanité. »

     Officiellement, le premier président des États Unifiés est mort d’une crise cardiaque.

     Au même moment, l’alerte était donnée car on venait de découvrir un homme inconscient couvert de sang dans un monte-charge. J’aurais pu finir mes jours en prison, voire exécuté sur place, pour les cadavres qui refroidissaient sur le toit. Mais l’un des responsables de la sécurité m’a reconnu. Ken Jasper. Je n’avais donc pas rêvé, c’était bien lui dans l’ambulance. Le Conseiller Kuiper lui avait demandé de m’accompagner pour s’assurer de ma prise en charge dans le meilleur hôpital de la ville sans qu’il ne soit posé trop de questions à mon sujet.

̶        Mais en fait, de quel côté il est ce Ken Jasper ? ai-je demandé.

̶        Jasper est un prétorien, un soldat d’élite chargé de la protection des membres du conseil. 

     C’était apparemment à ce titre qu’il accompagnait lors de nos rencontres celui que j’appelais alors Mr Smith. Quand Melle Tomkin a été assassinée, Ken Jasper a été nommé pour prendre sa place au sein de l’Organisation. En effet, sous l’influence du Grand Évêque, le conseil soupçonnait le Fondateur d’être l’instigateur de ces assassinats. Jasper était donc chargé d’obtenir le plus de renseignements possibles sur l’Organisation et ses membres, censés protéger les messagers. Il avait tout d’abord retrouvé un certain Mike. Ce dernier était l’amant de Melle Tomkin et il se rendait à l’appartement de sa maîtresse, justement le soir-même de son assassinat. Il avait vu des hommes sortir de l’immeuble et une femme attendant dans une voiture. En usant de son influence au sein du gouvernement, le conseiller Kuiper s’était alors chargé de faire disparaître le fameux Mike en le plaçant sous haute protection.

     Quand j’ai surpris la conversation dans son appartement, Jasper recevait son ordre de mission de la part du Fondateur pour assurer la sécurité de San Monfredo. Les hommes qui se sont fait abattre là-bas étaient en fait les membres de son équipe.

-      Et qui va porter le chapeau pour les attentats, le MPR et toute cette folie

     Le Conseiller Kuiper m’a regardé d’un air étonné, comme si la réponse tombait sous le sens. Mais d’une certaine façon, c’était évident. Patricia Keller allait entrer dans l’Histoire comme le chef terroriste le plus meurtrier de tous les temps.

     Quant à l’adolescent, il a disparu. Dans sa loge, il n’a été retrouvé que ses vêtements à l’endroit même où il s’était étendu. Personne ne l'a revu depuis la cérémonie. Régulièrement, un avis de recherche passe à la télévision, sans aucun résultat. Je suppose qu’on ne saura jamais vraiment qui il était…

     Tout cela, c’était il y a deux mois. Depuis, j’ai quitté l’hôpital et je suis logé tous frais payés dans les quartiers luxueux du nouveau centre pour la paix, construit à la place d’un centre de détention qui tombait en ruines. Un homme, l’un de chez nous, a repris les rennes du mouvement qui jusque-là avait été dirigé par un ancien homme d’église. 

     De ma fenêtre, j’aperçois dans le lointain le faisceau lumineux qui continue de transpercer le ciel. Et j’ai une superbe vue sur les vaisseaux qui surplombent Tree-Hill. Ils sont toujours en position stationnaire mais les premiers arrivants ont commencé à s’installer sur notre planète.

     A la télévision une scène repasse en boucle sur tous les écrans. La cérémonie officielle pour la signature du traité de réunification de nos peuples. Un homme à la peau noire, grand, charismatique, vêtu d’un costume sombre, tend un parchemin au président par intérim des États Unifiés.

     « Président Garret, en tant que représentant des lignées de la Terre, moi, Onyango Obama, vous offre en guise de paix retrouvée ce parchemin, symbole d’égalité entre les peuples... »

     Les deux chef d’états, tenant chacun un côté du document, posent pour les journalistes. Un enfant, choisi pour avoir survécu aux attentats du seize avril fait ensuite la lecture du texte :

     « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité… »

     Le document que nos hôtes ont apporté avec eux en guise de présent est un texte écrit bien avant leur exploration de l’espace et qui, pourtant, se voulait déjà interplanétaire : La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.   

     Par la fenêtre, j’aperçois au loin un jeune couple main dans la main. Que l’un d’eux soit messager ou pas, cela n’a plus d’importance. Nous sommes tous frères.

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                                                                                                                                                                              FIN