28 Aug

Le treizième homme (1ère partie)

Publié par lechanoir.over-blog.net  - Catégories :  #Nouvelles accessibles en intégralité

Avant propos

 

 

« Dans un futur proche, face à la prolifération constante des  meurtriers en série, le système judiciaire américain se durcira.

La peine de mort sera rétablie dans tous les états.

Et douze hommes tirés au sort décideront du sort d’un accusé…

Mais désormais, cette décision se fera à la majorité de leur voix.

Dorénavant, Un Seul homme pourra avoir droit de vie ou de mort sur l’un des siens. »

 

 

Le treizième homme (13émeH)

 

Incise

 

Les coups de marteau furent les premiers sons qu’il entendit ce jour là. La douzaine d’hommes assis autour de lui se levèrent, hésitants, comme s’ils cherchaient leur chemin ou la bonne tenue à adopter. Mais à un moment ou à un autre, pour seulement un court instant ou quelques longues secondes, chacun d’entre eux laissa son regard se poser à l’autre bout de la salle, sur la table située en face du grand bureau dominant l’assemblée. John tourna rapidement la tête à gauche et à droite, il était le seul encore vissé sur sa chaise. Une jeune femme qui suivait le cortège marqua une pause juste devant lui : « Vous comptez rester là ?… » dit-elle en souriant.

-         Pardon ?…

-         Vous savez, on aura beau l’observer toute la journée, cela ne changera rien. Nous ne saurons toujours pas s’il a vraiment fait ce dont on l’accuse ! Mais, juste entre nous, moi, je n’y crois pas une seule seconde !

John regarda à son tour l’homme que l’on emmenait menotté jusqu’aux cellules du tribunal. Il ne vit pas son visage mais il savait bien à quel point il était difficile de jauger de la culpabilité ou de l’innocence d’un homme et plus encore au sein d’un tribunal avec ses codes, ses avocats, ses jurés, son juge et son auditoire. Pourtant, à dire vrai, il n’avait prêté aucune attention à l’accusé, pas plus qu’il n’en avait accordé d’ailleurs à la dizaine de personnes qui avaient défilé devant lui durant les quelques minutes qui s’étaient écoulées.

-         Pardon, mais que se passe-t-il ?

La jeune femme le dévisagea, l’air surpris :

-         Eh bien, ma foi, c’est l’heure d’accomplir notre devoir ! Au fait, on n’a pas encore été officiellement présentés ! Moi, c’est Cynthia mais tout le monde m’appelle Cindy…

-         Jonh. dit-il, visiblement déconcerté, en prenant la main qui lui était tendue.

-         Enchantée John. Bon, ben je crois qu’on est les derniers... On a tout intérêt à se dépêcher avant qu’ils nous piquent les places au chaud !

 

John savait pertinemment où conduisait le couloir que le groupe avait emprunté et c’est justement parce qu’il savait qu’il avait le sentiment profond de ne pas être à sa place.

Lorsqu’il tenta de se lever pour suivre la jeune femme, il entendit les coups de marteau du juge qui tentait de ramener un peu d’ordre dans son tribunal, et il fut soudain pris d’étourdissements, ses idées s’obscurcirent et il sombra soudain inconscient le long du banc.

 

Le lendemain matin…

 

 

 

I

 

JOUR 1

 

Troisième jour de délibéré.

 

 

Les douze hommes et femmes avaient pris leur place respective autour de la grande table ovale. Cynthia Newman, très loin de l’image que l’on se ferait d’une reine, s’en donnait pourtant les airs, trônant à l’extrémité la plus proche de l’entrée. Face à elle, Rick Sterman, dont le genre « premier de la classe » tranchait radicalement avec le style et les manières de cette princesse de pacotille, affichait à l’autre bout de la table un sourire joyeux à qui voulait bien lui prêter la plus petite attention.

Assis trois rangs plus loin, à gauche de Cindy, John fut soudain pris d’un sursaut en entendant les trois coups de marteau…

« Désolé, désolé, j’ai toujours eu envie de faire ça ! s’excusa avec le sourire malicieux d’un enfant, le vieil homme installé en milieu de table. »

            Remarquant le soubresaut de son voisin, Jim Doherty, jeta sur lui un bref coup d’œil : « Tout va bien ?… » John roula lentement les yeux dans sa direction mais ne réagit pas. Doherty revint alors à la charge, le bousculant légèrement et manquant de faire tomber ses montures : « Eh, vieux ? Vous m’entendez ? »

            John, retira les lunettes de ses yeux et les scruta l’air intrigué. Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’il ait véritablement conscience des choses. « Qu’est se qui se passe encore !? dit-il, visiblement contrarié. »

L’homme, petit et trapu lança une tape de sa grosse main caillée dans le dos de son interlocuteur et répondit à la question d’un ton caustique :

-         Alors là, j’en ai fichtrement pas la moindre idée ! Mais je suis plutôt content de ne pas être le seul dans cette salle, à me le demander, s’esclaffa Jim Doherty.

Bien qu’il n’eut prêté la moindre attention à la réponse de son voisin, John paraissait de plus en plus décontenancé. Entre temps, le vieil homme avait rendu son marteau à Cody Walsh. Vêtu d’un jean et d’un simple tee-shirt par une température extérieure avoisinant les moins deux degré, on pouvait apercevoir en observant bien les poils de ses bras s’hérisser au moindre courant d’air, mais l’ensemble soulignait à merveille la taille de ses biceps et la proéminence de ses pectoraux ! Et pour ceux qui ne les avaient pas encore remarqués, et plus particulièrement pour Cynthia Newman qui s’était collée à lui, il se leva, marteau à la main, pour ouvrir la séance.

-         Bon ! S’il vous plaît messieurs dames… un peu de silence je vous prie. Je pense chers collègues que nous sommes tous pressés d’en finir, alors il est temps de procéder à un dernier vote préliminaire. Comme nous l’avons décidé hier, suite à cette dernière prise de position, chacun communiquera à nouveau ses arguments et en fin de séance nous procéderons au vote final par bulletin secret. Je vous rappelle qu’il faut que nous ayons douze votes et une majorité de voix. Si à l’issue de cette séance tous ces éléments n’étaient pas réunis, nous constaterons cette fois le vice de forme et préviendrons alors le greffier que nous n’avons pu nous mettre d’accord sur un verdict et que nous souhaitons nous destituer. Est-ce que les choses sont claires ?

-         Yes man ! finies les belles paroles ; y’en a marre maintenant ! lança T.J.

Avec un casque sur la tête ressemblant moins à un accessoire hi-fi qu’à deux bols collés sur ses oreilles, lorsqu’il s’exprimait, le jeune afro-américain prenait des airs de rappeur en pleine « création », imprégnant de grands mouvements à ses bras et balançant son corps comme on le ferait sur une piste de danse.

Gloria, une femme d’une cinquantaine d’années, de forte corpulence et qui parlait avec un léger accent créole, lui lança un regard réprobateur mais ne dit mot.

Autour de la table, tout le monde semblait partager l’avis du président du jury, apparemment aussi désireux que lui de mettre fin à ces trois jours de « parenthèse civique »… Tout le monde excepté John qui, malgré ses fonctions, ne semblait toujours pas comprendre ce qui se passait dans cette sale et n’avait de cesse de balancer sa tête de droite à gauche, comme s’il cherchait quelqu’un, ou quelque chose.

-         Bon, puisque nous sommes tous d’accord, procédons au vote à main levée. Que ceux qui pensent l’accusé innocent lèvent la main. Du bout du doigt, dans un geste peu viril, Cody fit le décompte : Un, deux, trois, quatre... Personne d’autre ?… Très bien. Comprenant que ces seules voix ne suffiraient pas pour l’emporter, quelques manifestations de contentement se firent entendre dans l’assemblée. Maintenant que ceux qui le croient coupable lèvent la main :… Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept… Sept… Sept plus quatre, onze…

Le président du jury marqua une pause.

-         Quoi ? C’est pas vrai, c’est quoi encore ce bazar ! lança T.J.

-         Qui a oublié de voter ?… reprit Cody. S’il vous plaît, lequel d’entre vous n’a pas encore levé la main ?

-         C’est moi, répondit John.

Tous les regards se dirigèrent vers lui. Certains blasés, d’autres surpris et d’autres encore, plus exaspérés qu’étonnés ! C’était le cas de Jim Doherty qui ne manqua pas de le faire remarquer.

-         C’est quoi le problème encore ?!… 

-         Je suis désolé… mais il y a quelque chose qui ne va pas !

-         Qu’est-ce qui ne va pas ?! insista Doherty.

-          Ecoutez… Je crois que je ne devrais pas être là.

-         Comment ça « vous ne devriez pas être là » ? Vous êtes ici au même titre que chacun d’entre nous, non ?… Cela fait des semaines que vous assistez, comme nous à ce fichu procès ; ça fait trois jours que nous délibérons ; et jusqu’à aujourd’hui, vous aviez même l’air plutôt sûr de vous ! Et voilà que vous vous mettez à douter ?

-         C’est que…

-         Il ne peut pas y avoir d’erreur… ajouta-t-il en comptant chaque personne présente dans la salle. Neuf, dix, onze et… Eh, bien oui, avec vous, on est douze énonça-il en le poussant de son gros doigt musclé. Vous voyez, il n’y a pas d’erreur ! Douze hommes pour douze jurés !

-         Je ne sais pas ce qu’il se passe mais je sais que je ne devrais pas être là.

-         Bon, écoutez monsieur… L’air très contrarié, chemise froissée, les manches pliées jusqu’aux coudes, Doherty ponctuait  chacune de ses phrases, par des gestes vifs et appuyés, et dans le cas présent, transperçait John du regard. Avec tout le respect que je vous dois, assez de balivernes ! Puisque vous êtes là, vous devez prendre vos responsabilités ! A cause de cette bonne femme – il désigna Gloria d’un bref mouvement de tête, qui en retour lui adressa son regard le plus noir. –, on a été quitte pour deux jours de plus de discussions scabreuses, et alors que nous étions tous d’accord hier soir pour faire avancer les choses, vous revenez sur votre parole ?

 John connaissait le fonctionnement de ce genre de procédure et bien que gêné par la situation, il se refusait à envoyer à la chaise électrique un homme dont il ignorait tout, simplement en inscrivant trois lettres sur un bout de papier. Il répondit sans sourciller.

-         Je n’ai pas encore d’opinion sur la question.

-         Comment ça, vous n’avez pas « encore » d’opinion ?!! s’insurgea Doherty. Ca va pas recommencer ! L’autre fois, c’était cette foutue bonne femme, maintenant vous ! Ca fait trois jours qu’on débat, qu’on discute, qu’on polémique, qu’on ressasse un par un tous les éléments de ce foutu dossier ! Vous aviez bien une idée au départ, eh bien vous avez qu’à vous y tenir ! On va pas rester ici jusqu’à Thanksgiving !  gronda-t-il en se levant violemment de sa chaise, envoyant un coup de coude involontaire dans la direction du président du jury qui heureusement n’avait pas seulement des muscles saillants mais aussi de très bons réflexes ! Il para le coup et attrapa le bras de Doherty. Sous l’effet de la surprise et des nerfs, ce dernier se tortilla en tous sens, battant des pieds et des mains pour s’extirper de la prise du bodybuilder qui, malgré sa force, parvenait à peine à le contenir. John se leva à son tour et tenta de lui maintenir les poignets mais il reçut un coup de genoux bien placé et s’écroula sur le sol. C’est alors que Mike Shepard, fort de sa jeunesse et de son mètre quatre-vingt-dix se joignit à la mêlée et aida Walsh à maîtriser Doherty.

Alors que Carie et Gloria s’étaient levées pour se mettre à l’écart, que T.J ricanait à bonne distance, et que les autres membres du jury se demandaient encore ce qu’ils pouvaient bien faire, de son côté, le vieil homme était parvenu à récupérer le marteau du président et se mit à frapper de toutes ses forces sur la table  :  « Maintenant ça suffit, vous m’entendez !… Ca suffit ! s’égosilla-t-il, dans l’espoir de calmer les esprit et de leur rappeler qu’ils se trouvaient dans l’enceinte du palais de justice. »

Cependant, jamais Marty n’aurait imaginé que son action eut de telles conséquences…

Les coups de marteau répétés raisonnèrent jusque dans le couloir, à tel point qu’ils parvinrent jusqu’au gardien posté devant la porte d’entrée. Lorsque celui-ci surgit dans la pièce, Doherty était toujours maintenu par Walsh mais Shepard, lui, se tenait au-dessus du corps inanimé de Robert Williams. 

 

***

 

Il ne fallut pas longtemps pour que Williams revienne à lui mais bien plus pour qu’il recouvre entièrement ses esprits. Toujours allongé à même le sol, son premier réflexe fut alors de rechercher ses lunettes. Et tandis que greffier, gardiens et membres du jury s’agglutinaient autour de lui tentant de s’enquérir de son état, lui, cherchait ses lunettes, tâtonnant en fronçant les yeux à quelques centimètres au-dessus du carrelage.

C’est Carie Nichols qui, la première, comprit la raison de son désarroi. La jeune femme à l’allure réservée semblait cependant faire preuve d’une grande perspicacité. Elle le démontra en tous cas en cette occasion puisqu’il lui suffit de seulement quelques secondes pour trouver et rapporter l’objet de sa quête à Robert Williams. La main tremblante, celui-ci ajusta ses verres et regarda tout autour de lui. « Ca va, ça va ! assura-il, peut-être davantage pour lui-même que pour répondre aux questions qui fusaient de toutes parts. »

Un médecin prévenu par le greffier pénétra à son tour dans la salle des délibérés et se pencha sur le patient. « Je vais bien ! ajouta Williams à son attention. » Et effectivement, mis à part une forte douleur au niveau du bas ventre, ce dernier ne présentait aucun hématome, aucune lésion. Et le généraliste parvint à la même conclusion : il allait bien. Pourtant, il aurait été faux de dire qu’il ne présentait aucune séquelle :

Et si personne, médecin compris, ne put expliquer ce qui avait provoqué sa perte de connaissance, il fut plus difficile encore de comprendre pourquoi Robert Williams n’avait aucun souvenir des dernières heures qui s’étaient écoulées. Mais une chose était certaine, étant données les circonstances, le vote final ne pouvait qu’être remis au lendemain…

 

Trois  jours plus tard…


 

 

II

 

JOUR 4

 

Premier jour de délibéré

 

 

Douze chaises entouraient la grande table ovale. Une veste fut adossée à celle-ci, un paquet de cigarettes déposé devant telle autre. Un sac à main accapara tel siège, deux autres furent échangés, un dernier décalé et ainsi, petit à petit, dans une langueur monotone, un calme étonnant, presque l’une après l’autre, chacune des places fut occupée. Quelques sons feutrés s’échappaient ici et là de discussions improvisées, à propos du soleil censé revenir pour les fêtes, du dernier match des Packers ou du nouveau coloris de chez Gemay. John lui, reprit connaissance aux côtés de Cody Walsh qui le regardait s’éveiller en minaudant avec un sourire complice sur les lèvres. John n’en tint pas cas, il semblait préoccupé. Il observa ses mains – elles étaient fines et impeccablement manucurées – ; ses vêtements, lança rapidement un bref regard à gauche et à droite et pensa alors qu’il avait peut-être une seconde chance. La présence de Jorge Reyes assis à sa droite le conforta dans ce sentiment.

Les conversations cessèrent.

« Bon, et maintenant, on  fait quoi ? » lança Gloria à l’attention de l’assemblée, avec son accent si caractéristique.

-         Pour moi, c’est clair qu’il l’a trucidé le frère ! Alors y’a qu’à le dire et comme ça on se barre tous d’ici ! répondit T.J de l’autre côté de la table, avec son éternel casque hi-fi autour du cou.

Les réactions, plus ou moins vives, se firent entendre de part et d’autre de la salle : « C’est pas aussi simple ! » « Si, il a raison, on va pas perdre plus de temps qu’il n’en faut entre ces quatre murs ! » « On peut quand même pas se décider comme ça, si ?… »

-         Non, c’est une bonne idée. Nous pouvons faire un vote préliminaire... ajouta Cynthia.

-         Ouais, voilà, c’est ça, « un vote préliminaire », reprit T.J, comme dans Perry Masson ! On lève la main et si c’est la majEUrité qui gagne, on se casse !

-         Tu veux dire : « la majorité » ! corrigea Gloria.

-         Ouais, ouais, c’est ça mamy ! T’as tout compris !

Les femmes des îles étant tout aussi connues pour leur cuisine que leur tempérament, Gloria fit honneur à sa réputation. Le visage fermé, le regard sombre, elle répliqua aussi sec en réprimandant sévèrement le garçon qui ne devait même pas avoir la moitié de son âge.

-         Ecoutez, intervint Walsh, étouffant dans l’œuf la querelle qui s’engageait, tâchons de conserver notre calme. Il est normal que nous soyons tous un peu sur les nerfs. Cela fait près de trois semaines que nous passons la plupart de notre temps ensembles enfermés mais nous arrivons maintenant à la dernière étape et nous nous devons de parvenir à un verdict.

-         Ouais, et après tout, ce que dit le petit n’est pas si bête... ajouta Shepard.

-         Parce que tu me prends pour un teubé peut-être ?… Et d’abord, c’est moi que t’appelle « petit » man ?! T.J commençait visiblement à s’emballer. Les mouvements de ses bras étaient de plus en plus virulents et il ne parvenait plus à fixer son attention sur son seul interlocuteur, pourtant assis juste à ses côtés. Regardant tout le monde et personne à la fois, le garçon ajouta : Non, mais c’est vrai quoi, il se prend pour qui celui-là ?!

Jouant le rôle de Walsh, c’est cette fois Cynthia qui arbitra :

-         Michael ne voulait certainement pas te manquer de respect, n’est-ce pas Mike ? dit-elle en ne perdant pas T.J du regard. Je pense qu’il voulait juste dire que l’idée était bonne et il a raison.

-         Bon eh bien on a qu’à faire ça ! conclut en bout de table, Tom Sanders, qui n’avait pas encore pris la parole jusqu’ici.

-         Oui, mais je rappelle qu’il faut au moins un vote pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre, si non, nous devrons engager les débats jusqu’à ce qu’on obtienne effectivement cette majorité ou que l’on se désiste auprès du juge et il y aurait alors un nouveau procès. Tout le monde a bien compris ?

Robert Williams qui se tenait trois rangs sur sa gauche considéra Cynthia avec un certain scepticisme :

-         Et comment savez-vous tout ça chère madame ? demanda-t-il en frottant contre sa chemise les verres de ses lunettes.

-         Je suis avocat, répondit spontanément Cynthia.

Personne autour de la table ne s’opposa au principe et Cynthia reprit :

-         Monsieur Walsh, on est d’accord ?

Cody dodelina de la tête en signe d’acquiescement.

- Très bien, nous ferons donc ainsi, à ceci près que je propose un vote par bulletin secret.

-         Oh ! On va pas y passer la nuit non plus ! protesta Doherty. On a tous mieux à faire et je ne pense pas que quiconque ici ait quoi que ce soit à cacher ! Vous voulez pas non plus qu’on nous apporte des PC et qu’on vote sur ordinateurs aussi pendant qu’on y est ! C’est pas comme si on avait entre nos mains le sort du monde en décidant de la réélection ou non de Schwarzenegger à la tête du pays ! Sans vouloir vous vexer ! ajouta Doherty en jetant un oeil insistant sur les muscles saillants de Walsh. Et puis, de toutes façons, l’affaire n’est pas si compliquée, alors on vote à main levée et on en finit avec tout ça !

-         Ouais, ça c’est bien parlé man !

Cody Walsh et Cynthia capitulèrent et délaissèrent pendant quelques instants à Doherty la direction des débats.

-         Bon allé, qui parmi nous pense l’accusé coupable ?

-         C’est clair que j’en suis ! dit le jeune rappeur en levant la main.

-         On a dit un vote à main levée, on ne s’intéresse pas à tes commentaires personnels ! trancha Gloria.

-         C’est bon, on t’a rien demandé à toi, la vieille !

-         Bon, ça suffit ! Que tous ceux qui le croient coupable lèvent la main… répéta le petit trapu. « Donc une, deux, trois… quatre, cinq… – il éprouvait quelques difficultés à discerner les bras levés de ceux qui ne l’étaient pas. Rick Sterman leva son coude de la table et s’aida de la main gauche pour tendre son bras droit aussi haut qu’il put – six, merci monsieur mais il est impossible de vous rater ! Sept,  huit, et… neuf… C’est tout ? »

-         Bah, on s’en fout, on l’a notre majorité ! On n’aura pas à rester enfermés ici ! se félicita le petit jeune en se levant de sa chaise avec entrain.

-         Ouais, c’est réglé ! acquiesça Doherty.

-         Pas tout à fait.

-         Comment ça « pas tout à fait » ?

-         Il faut recueillir les voies de tout le monde et il reste encore à valider celles en faveur de l’innocence de l’accusé, précisa Cynthia.

-         C’est pas bien compliqué, il suffit de faire la différence !

-         Peut-être mais chacun doit être entendu.

-          Bon, comme vous voudrez mais de toutes façons, ça changera rien au verdict ! Doherty souffla et reprit en étirant volontairement sa phrase. Donc… maintenant… que tous ceux qui pensent l’accusé innocent… lèvent la main...

Tom Sanders leva le bras.

-         Donc une,… deux… Ah, non pardon, j’avais cru que vous leviez le bras… Bon ben voilà, aucun autre vote « innocent » ! Madame est contente ?

-         Si je compte bien, cela fait huit votes en faveur de la culpabilité de l’accusé et un vote en faveur de son innocence. Il vous manque donc une voix en plus de la mienne.

-         Et alors !? Et pourquoi vous n’avez pas voté vous d’abord ?

-         Je ne souhaite pas me prononcer pour le moment.

-         Comment ça « vous ne souhaitez pas vous prononcer pour le moment ? »

-         Je ne souhaite pas me prononcer pour l’instant, un point c’est tout.

-         Bon, eh, bien, vous prononcez pas ! Après tout ça nous est bien égal ! Et si l’autre dame veut pas se prononcer non plus, c’est son affaire ! Moi, j’ai validé tous les votes « coupable » et « non coupable », comme vous me l’avez demandé !  Et on en est bien à neuf contre un ! Et comme la majorité l’emporte, on a gagné !

-         Mais ce n’est pas un jeu monsieur ! s’offusqua Robert Williams.

-         Oh, vous m’avez compris.

-         Je pense, à l’inverse, que Vous ne m’avez pas compris monsieur ! cingla Cynthia. Dans une procédure de ce genre, tous les votes comptent. Et de plus, je souhaite moi, connaître la position de madame… Madame Cosby, vous voulez bien nous dire pourquoi vous ne vous êtes pas prononcée ?

-         Mais qu’est-ce que ça peut faire !? De toutes façons il n’y a rien à comprendre ! Les femmes ne devraient pas être admises dans un jury ! Elles sont incapables de prendre la moindre décision, voilà tout ! cingla Doherty. 

-         Attendez, je vous permets pas ! répondit Gloria avec son léger accent créole. J’ai mon opinion ! Mais là, nous sommes en train de parler d’un meurtre monsieur. Et peut-être d’un meurtre de sang froid. Si lui a pu le faire, et que vous vous sentez, vous, de décider de la mort de quelqu’un en seulement quelques minutes, moi pas ! On pourrait quand même en discuter entre nous, non ? C’est pas ça que ça veut dire « délibérer » ? Elle jeta un bref regard en direction de Walsh. De quel droit vous vous permettez de nous juger juste parce qu’on demande des précisions avant d’envoyer un homme à la mort ?

-         Mais, c’est pas la question !… A la base on demandait juste que vous vous exprimiez pour savoir si on avait la majorité ou s’il fallait qu’on ré-explique toute l’affaire à l’un d’entre vous !… Mais maintenant que je sais qu’on l’a, moi j’en ai plus rien à faire de votre opinion !

-         Mais vous ne détenez pas la vérité cher monsieur ! Qui dit que c’est vous qui avez raison ? Peut-être que cet homme est innocent après tout ! Et puisque vous insistez, j’ai bien une opinion, une opinion basée sur tout ce qu’on a entendu depuis ces dernières semaines, mais en tant que femme, j’ai aussi un instinct et finalement, j’ai bien envie de le suivre ! Oui, je vais me fier à ce que je ressens au fond de mes tripes ! Je vote « Innocent » !… décida-t-elle en s’adressant à l’homme fort du groupe. Walsh laissa échapper un léger sourire de son visage. Vous êtes bien avancé maintenant ! ajouta Gloria à l’attention de son interlocuteur qui se renfrogna et se leva de sa chaise avec véhémence sans pour autant baisser les armes.

-         Bon, et après ! Ca fait toujours neuf voix contre deux et on pourrait tout autant tergiverser avec vous, qu’on serait toujours largement majoritaires ! Doherty fusillait Cynthia du regard.

-         Vous avez sûrement raison mais pour que le verdict puisse être validé, le greffier doit recueillir douze votes, or les abstentions ne sont pas considérées comme tel…

-         Qu’est-ce que vous me chantez là ?

T.J, qui devait certainement être encore plus éloigné de « la lumière » que Doherty, lança plus ou moins la même question, dans le même temps, mais en des termes bien plus imagés encore.

-         Et encore, vous avez de la chance messieurs car il y a une dizaine d’anées, ça ne fonctionnait pas comme ça. La décision d’un jury devait être prise à l’unanimité. Il était donc bien plus compliqué de se prononcer puisque tant  que tous les membres du jury n’étaient pas d’accord entre eux, aucune décision ne pouvait être validée.

-         Mais mis à part vous, personne ne s’est abstenu !… Attendez… Vous êtes en train d’insinuer que vous allez volontairement voter blanc, juste pour faire acquitter ce gars ?

-         Je dis juste que si l’un d’entre nous, lors de la décision finale venait à voter blanc, il y aurait alors vice de forme.

-         Non, si j’ai bien compris, elle ne peut pas le faire acquitter juste en s’abstenant. répondit Walsh. S’elle s’abstient, il y aurait un nouveau procès avec un nouveau jury, c’est bien ça madame Newman ?

-         C’est exact.

-         Bah ! Ca ne m’étonne pas d’une femme comme vous ça ! Et ça se dit avocat en plus ! Des balivernes, oui, tout ça ! s’insurgea le petit trapu.

-         Vous avez le droit de penser ce que vous voulez mais en ce qui me concerne, je souhaite que l’on éclaircisse certains points.

-         « Eclaircir certains points » ??! Mais je vous éclaircis tous les points que vous voulez moi ! Il l’a tué voilà tout ! Y’a rien d’autre à dire !… Et ce foutu procès alors ? Il ne vous a pas permis de vous « éclaircir » les idées ? Ce procès que les contribuables ont payé de leur poche, que Nous avons payé !! Il sert à quoi alors, si ce n’est justement à ce que vous vous forgiez votre opinion… et bon sang de bonsoir, que vous fassiez votre devoir de « citoyen » en nous la communiquant !?

-         Je regrette mais je n’ai aucune obligation envers vous ! objecta Cynthia en regardant Doherty droit dans les yeux. Dans le cadre d’une telle procédure, il y a de nombreux éléments à prendre en compte. Cet homme que personne ici ne connaît, qui a une vie : peut-être a-t-il une femme, des enfants, des projets… Cet homme donc,  risque la chaise électrique et je veux être certain d’avoir tous les éléments en tête avant de me prononcer. Pas vous ? Demanda-t-elle en regardant un à un chacun des membres du jury avant de revenir à Doherty.

T.J qui intervint :

-         Bon, ben, qu’est-ce qu’on en a à cirer ?! Elle veut pas participer, ben elle participe pas ! On a qu’à faire comme elle a dit tout à l’heure et balancer au juge qu’on n’arrive pas à se mettre d’accord !…

-         C’est incroyable ces gonzesses mais c’est vrai, après tout on va pas rester ici toute la nuit juste parce que quelqu’un n’a rien compris.

De l’autre bout de la table, Rick Sterman s’adressa directement à Cynthia :

-         Personnellement mademoiselle, je crois que j’ai bien compris vos arguments, par conséquent, excusez moi de vous demander ça, mais puisqu’il ne s’agit justement que d’un vote préliminaire, pourquoi ne pas simplement exprimer ce que vous ressentez vis à vis de cet homme ?  Ainsi vous pourrez développer ces mêmes arguments, n’est-ce pas ? demanda-t-il de sa petite voix aiguë et nasillarde.

-         De toutes façons, on ne lui a jamais demandé de rendre le verdict à elle toute seul, nom d’un nom, reprit le petit trapu, on lui demande rien de plus que ça : nous dire ce qu’elle pense !

-         C’est une très bonne question monsieur et je vais vous y répondre : Si tout le monde s’était engagé par main levée dans une voie ou une autre et que la majorité l’avait emporté comme il semblerait que ça se serait passé avec mon vote, pensez-vous vraiment, monsieur Sterman, que nous aurions discuté, ne serait-ce que quelques minutes, du cas de cet homme ? Je suis de l’avis de Gloria. Cette personne risque la peine de mort !… Nous lui devons au moins quelques minutes de réflexion.

-         Oh, et puis arrêtez d’embêter Cynthia, elle a quand même le droit de ne pas s’exprimer pour le moment, non ?… ajouta Walsh avant de se rapprocher de sa voisine... Vous en faites pas, dit-il en posant sa main sur sa cuisse, ce mec n’est qu’un macho doublé d’un frustré, si voyez ce que je veux dire ! Si vous voulez, je vous ferai lire mes notes tout à l’heure, un peu plus tard, lorsqu’on sera… plus tranquilles...

-         Merci, mais ça ira comme ça. trancha Cynthia visiblement agacée... Et je suppose que ce sont les notes en question ?

-         Ben oui. Bon, d’accord, c’est un peu brouillon mais tout y est !

-         Ok, et maintenant ?… On sort les flingues ?

-         Dis moi, mec ? Comment un gars comme toi a réussi à se retrouver à moisir dans un jury ?

L’homme qui provoquait directement T.J devait avoir la trentaine, il était vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise assortie.

-         Eh ! T’insinues quoi là, man ? répondit T.J, ses bras battant les airs comme les ailes d’un moulin à vent.

Le jeune homme ne se laissa pas intimider. Il passa le revers de la main sur son col froissé et s’expliqua, non sans une certaine ironie :

-         Je n’insinue rien du tout ! Je veux juste dire qu’il faut voter pour être tiré au sort et bizarrement, je ne t’imagine pas vraiment allant t’inscrire dans un bureau et déposer ton petit bulletin dans l’urne !

-         J’ai fait partie d’un programme civique au bahut, ça te va, blanc-bec ?!

Le jeune homme sourit.

-         On va se désister ! Voilà ce qu’on va faire, répondit Doherty !

-         Attendez, ça ne fait pas longtemps qu’on est là. Mademoiselle Newman a raison, pourquoi ne pas discuter du cas au moins quelques minutes afin de déterminer un peu ce qui est clair pour tout le monde et ce qui ne l’est pas proposa Sanders.

-         Attends man ! Moi je pensais qu’on serait tous ok pour dire que le gars est coupable et qu’on allait ensuite bâcler tout ça et rentrer à casa mais si on doit pourrir ici, pourquoi ce serait à elle de tout décider ? Moi j’en ai rien à battre qu’elle soit un putain d’avocat, elle a pas à décider pour nous !

Cindy, les yeux rivés sur le bloc note de Walsh, ne releva pas.

-         Sur la forme, le gosse a raison, intervint Sanders, de l’autre bout de la table. Il y a un président du jury, peut-être devrait-on lui donner la responsabilité d’administrer les débats.

-         Il est vrai que la tradition veut que ce soit le premier juré qui anime les débats. Et étant donné que certains d’entre nous ont demandé des précisions avant de se prononcer – Cynthia fit un signe de tête à l’attention de Gloria qui s’était finalement décidé à voter innocent – et que les membres du jury ne sont pas d’accord, une discussion de fond me semble indispensable.

-         Bon, très bien, alors qui est le premier juré ?… Allons ! Qui est-ce, s’il vous plaît ? répéta Walsh.

-         … Je crois que c’est moi. Balbutia timidement une jeune femme cachée entre Tom et Gloria.

-         S’il vous plaît, rappelez nous votre nom mademoiselle.

-         Carie Nichols.

-         Très bien, mademoiselle Nichols, vous voulez bien être la présidente de ce jury ?

Elle hésita quelques secondes. La tête baissée, le visage voilé par ses cheveux, ses doigts dessinant des cercles sur la table en bois.

-         Il n’y a aucune obligation vous savez ? précisa Cynthia.

-         Je préfère autant pas alors, dit-elle sans pour autant lever les yeux de ces dessins qu’elle seule pouvait voir.

-         C’est votre droit mademoiselle, conclut Walsh.

-         Et voilà, on en est au même point ! Ca nous avance à quoi tout ça ! reprit Doherty.

-         Je comprends T.J et monsieur Sanders, et je sais bien que dans le cas présent, je ne représente que moi. Donc, étant donné que le premier juré s’est désisté, il me semble qu’il serait juste que le président de jury soit élu à la majorité et je pense que le mieux serait de confier cette responsabilité à la personne parmi nous qui a le plus d’expérience, vous ne pensez pas ? demanda Cynthia.

Toute l’assemblée, ou presque, adhéra à la proposition.

-         Et vous pensez à quelqu’un en particulier ? demanda Williams.

-         Eh bien, il me semble que monsieur est à cette table celui d’entre nous qui a la plus grande expérience – Cynthia fixait un homme qui devait bien avoir dans les soixante dix ans bien tassés et qui semblait, en retrait, écouter les débats avec la plus grande attention – et je propose, s’il est d’accord, ainsi que vous tous, que nous le désignons pour être notre porte parole.

L’homme roula son regard tout autour de lui, comme s’il venait soudain de prendre conscience d’exister aux yeux des autres. Il paraissait extrêmement gêné mais après quelques hésitations, les mots de Cynthia eurent l’effet escompté et il accepta.

Elle se leva pour laisser la place en bout de table au nouveau président du jury mais alors qu’elle se dirigeait déjà vers le vieil homme, ce dernier lui fit signe de retourner d’où elle venait.

-         Je vous en prie, jeune fille. De toutes façons je vais rester à ma place au milieu de vous tous. Vous savez si je me suis installé là, c’est justement parce qu’ainsi, je peux suivre toutes les discussions. Car à mon âge, mon ouïe n’est plus aussi fine qu’elle l’était, vous savez !…

-         Vous en êtes bien sûr monsieur ? insista Cynthia.

-         Oui, oui, puisque je vous le dis !

Le visage fermé, Cynthia semblait très contrariée par la tournure des évènements et lança sans s’en rendre compte un regard accusateur à l’attention du vieil homme.

John n’avait pas réussi à saisir sa chance et qui sait s’il en aurait une autre ?…

-         Pardonnez-moi mais maintenant que dois-je faire, demanda Marty ?

-         Eh bien monsieur le président, pour le moment il semblerait que quelques points soient un peu confus pour certains d’entre nous, résuma Cynthia, alors à vous de voir comment on procède. Mais il me semble que nous devrions en discuter et tous nous exprimer sur le sujet.

-         Eh bien, c’est à dire… Peut-être pourrions nous effectuer un tour de table… et chacun d’entre nous pourrait alors exprimer à son tour sa position, mais à haute voix cette fois-ci, et l’expliquer aux autres. Si cela vous convient…

Personne n’y vit d’objection.

-         Bon eh bien, si nous commencions par ceux qui se sont prononcés en faveur de la culpabilité. Comme nous sommes plus nombreux, il y aura certainement plus de choses à dire. Puis viendrait le tour de ces messieurs-dames qui ont voté « non coupable » et vous nous direz alors si vous avez suffisamment d’éléments pour vous prononcer…

Cynthia approuva d’un signe de la tête et se plongea dans la pile de documents qu’elle venait de ramener à elle du milieu de la table.

-         Bon, si quelqu’un veut se lancer..., fit Marty.

 

***

 

« Moi, je vais commencer !… Il est évident que c’est lui qui a tué !… »

-         C’est facile à dire, cingla Gloria,  mais sur quoi vous vous basez, vous, pour être aussi sûr de vous ?!

-         Si vous me laissez parler, je vais vous le dire !

John, se désintéressant des débats, semblait complètement absorbée par ses lectures…

-         Pourriez-vous d’abord nous rappeler votre nom s’il vous plaît ? demanda Marty.

-         Je m’appelle Jim Doherty. Je suis représentant. Mais pour en revenir à l’affaire, d’abord, le gars a été assez bête pour commettre le meurtre avec…

Doherty reprit un par un, pendant plusieurs longues minutes, les éléments énoncés lors procès sans développer la moindre argumentation, se contenant de paraphraser les propos tenus par le procureur.

Pendant ce temps, John avait déjà parcouru la quasi totalité des dossiers qui se trouvaient devant lui. Il avait survolé les fiches des douze jurés mais son visage s’était illuminé en découvrant celle d’un treizième homme.

Depuis la nouvelle législation en vigueur, il n’y avait plus de présélection du jury par les avocats. Les douze jurés étaient directement tirés au sort à partir des listes électorales. Des dossiers complets sur leur personne – Cursus scolaire, parents, profession, statut social, situation matrimoniale, bulletin de santé etc.… En bref toute leur vie, de l’enfance à nos jours –  étaient alors présentés au juge qui, assisté par un expert, procédait à une vérification minutieuse de leurs antécédents afin de s’assurer qu’il n’y ait rien dans leur parcours ou leur personnalité qui puisse nuire à l’impartialité du jugement. Si l’un des douze faisait l’objet du moindre doute, il était alors écarté, remplacé par un treizième homme et suite à un nouveau tirage au sort un nouveau juré s’ajoutait à liste. Car ce n’étaient pas douze hommes qui étaient élus au total, mais bien quinze. Douze jurés et trois suppléants. Des remplaçants qui n’intervenaient que rarement ; les absences dans le cadre d’un procès étant extrêmement rares car tout manquement y était sévèrement punie. Et même si les sanctions, qui pouvaient aller jusqu’à des peines d’emprisonnement, étaient plus généralement commuées en amendes, celles-ci étaient toujours substantielles puisque déterminées par le statut social du contrevenant.

C’est donc ce premier suppléant qui semblait intéresser John. Il décortiqua les moindres détails de sa bio, analysa les dernières évaluations de ses supérieurs, et fixa son visage de longues secondes durant. « Toi, tu ferais un excellent juré ! » Avant la mise en application de la nouvelle législation, John ne manquait jamais une sélection de jury. Il adorait ça ! Ce travail faisait appel autant appel à la psychologie qu’à l’instinct ! Or, son instinct ne l’avait jamais trompé et il savait qu’un bon jury, c’était 80% de chances de gagner un procès !

 

Tout à coup, un bruit sourd se fit entendre.

Et le son raisonna en John encore et encore, comme un écho dans son esprit. A tel point qu’il eut l’impression que ses tympans étaient sur le point d’exploser !

Dans le même temps, Cynthia Newman balança soudain son front contre la table et se couvrit la tête avec les bras, comme si une violente douleur lui traversait le crâne.

Après ça, John ne se souvint plus de rien.

 

Et pendant que Walsh et Jorge Reyes, assis aux cotés de Cynthia s’inquiétaient de son état, Shepard ramassa le « marteau de justice » qui lui avait échappé des mains et était tombé sur le sol en provoquant ce bruit sourd auquel tous les jurés n’avaient pas prêté la même attention.

 

Deux jours plus tôt…

 

 

Incise

 

Les coups de marteau furent les premiers sons qu’il entendit. Il était installé dans une sorte de compartiment accueillant sur deux rangées, une douzaine de personnes assises comme lui sur un banc capitonné et qui donnait sur une grande salle, noire de monde.

Soudain les onze hommes et femmes qui l’entouraient se levèrent, hésitants, comme s’ils cherchaient leur chemin ou la bonne tenue à adopter. « Non, c’est pas vrai ! Mais qu’est-ce qui se passe encore ?! » John se recroquevilla du mieux qu’il put afin de ne pas obstruer le passage. Certains le dévisagèrent en manquant de lui marcher sur les pieds et d’autres, au contraire, ne lui prêtèrent pas la moindre attention. Mais tous, à un moment ou à un autre, pour seulement un court instant ou quelques longues secondes, se tournèrent vers l’une des deux tables situées en face du grand bureau qui dominait toute l’assemblée. Et chacun d’entre eux laissa son regard se poser sur cet homme, au centre de la salle. John jeta un coup d’œil à gauche et à droite, il était le seul encore vissé sur sa chaise. Une jeune femme qui suivait le cortège marqua une pause juste devant lui : « Vous restez là ?… » dit-elle un léger sourire sur les lèvres.

-         Quoi ?…

-         Vous savez, vous pouvez rester ici autant de temps que vous le voulez, vous ne saurez toujours pas si c’est lui ou non ! Mais, entre vous et moi, je mettrai ma main à couper qu’il n’a rien fait !

John regarda à son tour l’homme que l’on emmenait menotté jusqu’aux cellules du tribunal. Et en l’espace d’un instant une multitude de questions lui vinrent à l’esprit : Qui était-il ? De quoi l’accusait-on ?… « Ahhrrr ! » Soudain il fut pris d’une violente douleur dans le bas ventre et il se souvint… Il revit les dernières heures qui s’étaient écoulées : la grande table ovale au milieu de la petite salle, les douze hommes et femmes installés autour, le vote préliminaire et l’altercation avec Doherty… Mais tout cela n’avait aucun sens ! Et cet homme… était-ce ce même homme qu’on lui avait demandé de juger sans qu’il sache rien de lui ? C’était impossible !… Pourtant il se souvenait de ce box. Il s’était déjà trouvé ici un peu plus tôt… Quand était-ce ? N’avait-il pas  déjà vécu tout ça !…

« Vous allez bien ? s’inquiéta la jeune femme. »

-         Ca va, ça va.

-         Vous êtes sûr… Vous voulez pas que j’appelle le greffier ?

-         Ca va, je vous dit !

Il chercha l’accusé au loin mais l’homme flanqué de ses deux gardiens disparut dans les couloirs du palais de justice.

-         Bon, eh bien il faudrait peut-être y aller ! Au fait, moi c’est Cynthia mais tout le monde m’appelle Cindy…

-         Oui, oui. Moi, c’est John, répondit-il en prenant rapidement la main qui lui était tendue.

 

John savait pertinemment où conduisait le couloir que le groupe avait emprunté et c’est justement parce qu’il savait qu’il se dit finalement qu’il était en train de rêver.

Et dans son rêve il ferma les yeux…

 

A suivre : 2ème partie...