28 Aug

Le dernier voyage

Publié par lechanoir.over-blog.net  - Catégories :  #Pitchs et extraits de nouvelles

Pitch : Un vieil homme frappe à la porte d'un jeune couple et leur raconte une histoire, son histoire... Qu'est ce qui unit leurs destins ? Quel est son message ? Pourquoi cette mise en garde si tant est que ça en soit bien une ?
Un homme se posera ces questions et bien d'autres tout au long de son histoire... Une histoire d'amour, une destinée... Un futur qu'il doit ré-écrire mais y parviendra-t-il et à quel prix ?


Début :

 Préambule. 

Comme chaque matin, le jeune homme sauta du lit et premier réflexe du jour, appuya sur le bouton de l’ordinateur. Il s’habilla en vitesse et s’installa à son bureau.

 

L’écran s’anima enfin :

 

« Vous avez… 1 message. »

 

Il cliqua sur le lien et passées quelques secondes, le texte se dévoila lettre après lettre :

 

« Sauve-la ! »

 

Aucune signature.

 

C’était le même scénario depuis des semaines !

 

Il se souvenait de la première fois qu’il avait reçu ces curieux messages. Comme toujours, il avait allumé son ordinateur un matin au réveil. C’était presque devenu une habitude depuis qu’il ne travaillait plus. Il n’avait pas encore pris son café et se sentait las. Pour quelqu’un qui devait pratiquement faire le tour du cadran afin d’avoir les idées claires, les quelques petites heures qu’il avait dû passées dans son lit cette nuit là se faisaient cruellement ressentir. Il ne se souvenait même pas s’être couché la veille au soir.

Un fois sur son poste de travail, il avait lancé Internet et vérifié ses mails. Aucun message, juste des publicités pour des sites plus ou moins légaux et des centres d’achats par correspondance. Il avait donc refermé son navigateur mais au moment de couper sa connexion, le petit son si reconnaissable de sa messagerie avait retenti et une nouvelle fenêtre s’était ouverte. Il ne connaissait pas l’adresse de ce site. Il ne l’avait jamais visité. La page d’accueil, plutôt dépouillée, était nominative.

Et à sa grande surprise, c’était le même pseudonyme qu’il utilisait depuis toujours qui l’accueillait !

Un message lui souhaitait la bienvenue et l’informait de l’arrivée d’un nouveau courrier. Mais comment pouvait-il recevoir des mails à une adresse qui n’était pas la sienne ? Certains sites Internet proposaient des espaces pour créer et gérer des boîtes aux lettres électroniques mais aucun à sa connaissance ne permettait de recevoir du courrier sans y avoir ouvert un compte au préalable. Ce qui sous-entendait qu’une tierce personne l’avait fait pour lui !

Excité par le caractère inhabituel de la situation, il avait appuyé sur l’icône en forme d’enveloppe et attendu impatiemment que la nouvelle page se charge. Quelques secondes qui lui avaient paru une éternité, puis, le message s’était enfin affiché :

 

« Surtout, n’y va pas ! »

 

Depuis ce jour, il recevait chaque semaine le même courrier non signé et avec comme nom d’émetteur toujours le même pseudonyme, autrement dit : le mystérieux inconnu qui avait créé cette boîte s’adressait des mails à lui-même et avait fait en sorte que le jeune homme puisse y avoir accès et en soit averti automatiquement dès réception ! Cependant, ce dernier ne voyait aucun moyen d’identifier son correspondant anonyme.

Le premier mail remontait à près de deux mois aujourd’hui… Et à bien y réfléchir, il lui semblait bien que cela avait commencé la semaine même de la visite de ce vieil homme. Il avait sonné à sa porte et lui avait raconté cette histoire étrange…

 


1. Le voyage.

« La route est déserte et je l’ai empruntée si souvent que je pourrais faire le chemin les yeux fermés. J’ai conduit une bonne partie de la nuit mais je ne suis pas fatigué. J’ai toujours préféré rouler au clair de lune, après une bonne journée de repos et une petite sieste apaisante, lové dans ses bras. Je n’ai jamais su conduire en oubliant les compteurs. Vitesse, kilomètres et jauge d’essence sont surveillés en permanence et suscitent de savants calculs sur le temps restant à parcourir, le nombre d’arrêts obligatoires pour l’essence et l’heure approximative d’arrivée. Et la chose est loin d’être évidente lorsqu’on a, comme moi, toujours été un cancre en calcul. Mais ça m’occupe et quoi qu’il en soit c’est plus fort que tout, je ne peux manquer la ronde incessante des chiffres, et à chaque mouvement des dizaines, je lui prête, comme en ce moment même, pensant qu’elle dort, un regard discret du bout des yeux, mais à chacune de mes attentions, les siens sont déjà posés sur moi et elle m’adresse alors le plus tendre des sourires qu’une femme ne m’ait jamais offert. Nous venons de passer les fêtes de Noël dans sa famille où nous avons, selon l’expression consacrée, bien mangé et bien bu mais surtout, où nous avons pu profiter du calme pour nous ressourcer dans la tranquillité de cette forêt méditerranéenne en plein cœur de la garrigue, si chère au cœur de mes futurs beaux-parents. Lui retournant son sourire je pose ma main libre sur son ventre rond et lui lance à mon tour un regard complice et débordant de tendresse. C’était la deuxième fois que je rencontrais des membres de sa famille. Il faut dire que notre relation est toute récente, bien que nous donnons parfois l’impression d’un vieux couple avec charentaises pour monsieur et aiguilles à tricoter pour madame et que nous serons bientôt, bien plus qu’un simple couple. Je le sens bouger à travers le pull en laine de cette jeune femme que j’aime tant, j’imagine ce petit corps déjà plein de vie donnant de violents coups de pieds dans le ventre de sa mère et je souris de plus belle en imaginant ce futur footballeur. « Et si c’était une fille me dit-elle, comme si elle avait pu lire dans mon sourire ? » Et bien alors ce sera une danseuse étoile avec des jambes magnifiques, fortes comme le tronc des chênes, ce sera une belle petite fille avec les yeux noirs de sa mère, des cheveux brillants comme le crin des chevaux et cette même force fragile qui ont eu raison de mon âme, de mon cœur et de ma raison même. Ce sera une enfant qui à chaque regard me rappellera celui qui me touche tant en cet instant précis et qui dit : « Te rends-tu comptes de la chance que tu as d’avoir dans ta vie les deux plus belles femmes au monde et d’être dans leur cœur à tout jamais ? » Il y a une phrase d’un poète français qui dit que c’est en partant que le bonheur fait le plus de bruit mais en ce qui me concerne j’ai toujours eu pleinement conscience de ma chance et à chaque minute qui passe, mon bonheur à moi se fait de plus en plus assourdissant.

Le nombre 19 indiqué au compteur vient de filer pour laisser la place à une nouvelle dizaine lorsque j’aperçois dans le rétroviseur la première voiture depuis des heures. Nous sommes maintenant à plus de sept cents kilomètres de notre point de départ et il nous reste selon mes calculs, un peu moins d’une heure de trajet avant de retrouver enfin le calme de notre appartement. La voiture se rapproche rapidement m’aveuglant de ses phares, je tends alors le bras et rabats le rétroviseur afin de ne plus être ébloui mais la lumière me gênera encore de longues minutes jusqu’à ce que je décide de réduire ma vitesse. Elle nous suit de près pendant encore quelques kilomètres puis finit par mettre son clignotant. Je ne regarde plus, ni mes cadrans, ni ma fiancée, mais fixe sans pouvoir m’en défaire les phares de ce véhicule qui semble enfin vouloir déboîter. La fatigue commençant à se faire sentir, je suis crispé sur mon volant et continue de suivre la scène dans les rétroviseurs. Je n’entends plus le bruit de la radio, ne ressens plus la présence de ma passagère, mon attention est entièrement captée par l’autre véhicule progressant maintenant pratiquement à notre hauteur. Il est de la même marque et de la même couleur que le mien, je cherche à discerner le visage du conducteur mais lorsqu’ils se retournent dans notre direction, je la vois elle…

Je ne peux croire l’image que mes yeux font parvenir à mon cerveau, c’est impossible ! Cette superbe femme aux longs cheveux noirs, ce sourire que je ne n’aurais pu confondre et que jamais je n’aurais oublié, ces petites taches de rousseur sur le visage, ces longues lèvres pulpeuses et ce regard ambigu, candide et séducteur…

Cela ne peut être elle !

Il fait nuit et le trajet m’a rompu, mon imagination est sûrement en train de me jouer des tours ou bien ce n’est qu’une vague ressemblance accentuée par l’obscurité et la fatigue. Je me retourne alors vers mon côté passager pour m’assurer que je ne suis pas en train de rêver.

Elle me regarde interrogative.

« La femme dans la voiture… lui dis-je, c’était ton visage… Elle te ressemblait trait pour trait ! Je te promets, pendant quelques secondes, j’ai vraiment cru que c’était toi ! Elle te ressemblait tant !… » Elle, parait amusée par ma réaction, ce sourire toujours accroché aux lèvres mais j’ai à peine achevé ma phrase que mon attention est à nouveau captée par l’autre véhicule, maintenant à quelques centaines de mètres devant nous ! Celui-ci s’est mit tout à coup à freiner violemment et bascule soudain sur le côté pour continuer sa course folle dans une suite de tonneaux et un violent fracas de tôles. A cet instant, c’est comme si le temps s’est arrêté, je vois son corps pris dans un tourbillon infernal et son visage souriant entouré par les flammes. C’est l’explosion qui me ramène à la réalité. Reprenant mes esprits,  j’enfonce à mon tour la pédale de frein et m’accroche à mon volant. La scène est surréaliste, les compteurs sont figés, les cadrans se voilent, je sens les roues quitter le sol et je pars dans une dernière danse avec celle que j’aime, mes muscles se détendent, les tours sont de plus en plus longs, je la regarde, elle me sourit. Je lâche le volant et tends mon bras vers son ventre rond, elle pose sa main sur la mienne et je ressens pour la dernière fois les colères de notre enfant. Je suis serein, il n’y a plus aucun bruit, plus d’explosion, il n’y a plus que nous deux dansant ce dernier slow qui s’étire et la musique de nos cœurs qui battent leur dernière mesure. Autour de nous, dans un désordre de métal et de plastique, un mélange d’huile et d’essence, d’étincelles et de flammes se joue le film de notre fin en vitesse accélérée, mais nous le manquerons car nous nous étions promis que ce serait à tout jamais… »

 

***

 

-         Mais ce n’est pas arrivé n’est-ce pas. Après tout vous êtes bien là devant moi ? 

-         Pas tout à fait, pourtant, il n’y a pas eu un jour depuis où je ne me sois réveillé sans y penser, pas une nuit sans rêve mais toujours ce même cauchemar...

-         Pourtant vous êtes toujours vivant… et pourquoi me raconter tout ça à moi ?

-         Oui, je suis toujours là, enfin pour le moment, le reste dépendra de toi…

-         Que voulez-vous dire ? Qu’est-ce que je viens faire là-dedans ?

 

« Je sais que tu me prendras pour un vieux fou lorsque je t’aurai conté cette histoire mais accorde-moi juste un peu de ton temps et peut-être me croiras-tu… » 

 

(…)