28 Aug

Le treizième homme (3éme partie)

Publié par lechanoir.over-blog.net  - Catégories :  #Nouvelles accessibles en intégralité

V

 

John mit un certain temps avant de reconnaître les lieux. Son crâne lui donnait l’impression d’être sur le point d’exploser ! Tout en se tenant la tête, il passa laborieusement de la position couchée à assise. Il faisait nuit dehors mais les murs, tout autour de lui, semblaient danser sous la lueur de l’écran de télévision resté allumé. Il était bien dans son salon. Pourtant il ne se souvenait pas avoir passé la nuit dans le canapé, ni même être rentré chez lui…

Son dernier souvenir en tant que John Gilmore remontait treize jours en arrière alors qu’il plaidait une importante affaire de meurtre. Les deux parties avaient achevé leur plaidoirie et le juge, avant de clore la séance, avait donné aux jurés ses dernières instructions … C’est à ce moment que John avait ressenti pour la première fois ces terribles maux de tête. Et après… après, plus rien !  Sauf… Il marqua une pause dans ses réflexions. Un détail venait de lui revenir : le juge martelant son bureau pour mettre fin à la séance comme le veut l’usage, et les coups de marteau raisonnant violemment dans son esprit ! Un détail venait de lui revenir : le juge martelant son bureau pour mettre fin à la séance comme le veut l’usage, et les coups de marteau raisonnant violemment dans son esprit !… Il eut soudain comme une révélation : « Et si ce n’était pas une coïncidence ? Si cet écho lancinant qui durant ces treize jours avaient précédé chacune de mes absences était justement la clé de tout… » John cherchait depuis tout ce temps, non seulement, une raison à ce qui lui arrivait mais aussi quels en étaient les fonctionnements, quels mécanismes géraient ses bonds dans le temps ! Or, il n’avait encore jamais fait de rapprochement entre les coups de marteau et ses sauts ! « Non, c’est pas vrai !… Si c’est vraiment ça, je l’avais ! La clé était là devant mes yeux et elle m’a échappée !…  Si seulement… » Si seulement il avait fait le lien plus tôt… Il aurait pu s’emparer de l’objet et tester sa théorie en en interdisant l’usage à quiconque. Ainsi, il aurait gagné du temps… Du temps pour mettre à profit ses talents d’orateurs, pour utiliser toutes les ficèles du métier afin d’influer sur le jury dès le premier jour de délibéré et changer le cours des choses ! Mais puisqu’il avait échoué pourquoi cela avait-il continué ? Pourquoi était-il passé dans la peau de chacun des jurés avant de finalement se retrouver dans le canapé de son salon ? Quelle était la logique à tout ça ? C’était comme si le temps avait tout d’abord inversé sa course pour finalement s’enrayer sur ce fameux jour et retrouver son cours normal seulement aujourd’hui…

« Aujourd’hui ?… »

Son premier réflexe fut de prendre son téléphone portable posé sur la petite table du salon. Il navigua dans les menus et consulta l’agenda :

Mardi… Mardi 11 mars.

Soit, la veille de ce satané procès !

Douze jours après sa dernière affaire. Mais que s’était-il passé entre son dernier plaidoyer en tant qu’avocat et son retour chez lui, douze jours plus tard ? Et qu’avait fait John Gilmore pendant ce temps ? Quelque chose de grave s’il se fiait à ce qu’il venait de vivre !

Et s’il avait rêvé toute cette histoire…

Impossible ! Il n’avait pu imaginer aussi précisément presque deux semaines entières de sa vie, des noms, des visages et toutes ces personnes dans les moindres détails. John réfléchissait vite et bien, pensant à toutes les hypothèses, éliminant l’improbable des possibles. Les images qu’il avait en tête semblaient trop réelles pour n’être qu’un rêve. « Mais je dois en être sûr ! » Si ce qu’il avait vécu correspondait bien à une réalité future, à l’heure qu’il était, il avait sans doute déjà été inculpé de meurtre et puisqu’il s’était réveillé chez lui, c’est qu’il était parvenu à obtenir du juge une libération sous caution. John se demandait si dans ces circonstances, il aurait plaidé lui-même sa cause ou aurait fait appel à un confrère. Il ne savait que trop bien l’effet que procurait sur les juges et la profession dans son ensemble, des accusés qui, sous prétexte de quelque notion de droit, refusaient toute assistance et préféraient se défendre eux-mêmes plutôt que de confier leur sort à un inconnu. – Inconnu peut-être, mais un inconnu dont c’est le métier ! – Et puis, pour défendre un cas au mieux, un avocat se devait d’être objectif et cela s’avérait difficile lorsque justement on était le cas en question. Il aurait donc sûrement fait appel à quelqu’un d’extérieur, une personne de confiance. Mais surtout, il avait certainement dû engager le meilleur… Il jeta un bref coup d’œil à l’heure : 22h20. Et composa le numéro de  Patrick Mc. Pherson, son adversaire de toujours.

Après une dizaine de sonneries, il raccrocha sans laisser de message.

Il devait absolument en être certain… Il fouilla dans le petit meuble situé à côté du canapé et tria parmi les différents magasines, les quotidiens de la presse locale. En vain ! Il passa alors à la cuisine, jeta une œillade à la table et au buffet puis entreprit de fouiller les poubelles mais là encore, il ne trouva aucune trace de la presse quotidienne. Il monta alors à l’étage, traversa le couloir et s’installa à son ordinateur dans la pièce qui lui servait de bureau. En deux clics il lança Internet mais la fenêtre s’ouvrit sur une page blanche. Glissant un regard sous le pan de travail il constata que les voyants du modem, habituellement allumés au vert, clignotaient au rouge. La connexion était coupée. En sortant du bureau, il passa devant la chambre des filles et stoppa net. La porte était entrouverte. Il eut un mauvais pressentiment ; entra sans faire de bruit, s’approcha du lit et défit délicatement les couvertures… Personne ! Il fit volte-face et se dirigea aussitôt vers le second lit qu’il palpa nerveusement... puis il fila tout droit vers la chambre d’en face, celle de son fils... Vide, elle aussi ! C’est bien ce qu’il pressentait : ses enfants n’étaient plus là !

Hors de lui, il se précipita en direction de la pièce du fond, appuya sèchement sur l’interrupteur. Le grand lit était fait, les couvertures impeccablement pliées tout au bout, et la chambre avec ses armoires grandes ouvertes et ses rayonnages vidés, semblait complètement abandonnée. Se laissant gagner par la colère, John dévasta tout sur son passage : arrachant les étagères, faisant voler en éclat bibelots en verre et autres objets de décoration ; telle un cyclone, il ne lui fallut que quelques secondes pour tout mettre sans dessus-dessous, renversant avec rage les meubles les plus lourds et fracassant les autres contre les murs.

Lorsqu’il n’y eut plus la moindre chaise debout, épuisé, il se laissa tomber sur le lit encombré et demeura ainsi prostré quelques longues minutes… Quand soudain, son attention fut captée par un petit cahier épais, coincé entre deux planches de bois, juste en dessous des vestiges de ce qui avait été l’une des deux tables de nuit : en l’occurrence celle de sa femme. Il se leva, arracha l’objet engoncé dans le faux fond du tiroir et l’ouvrit. C’était la première fois – du moins le pensait-il… – qu’il voyait ce cahier dont il ignorait même l’existence. En temps normal, jamais il ne se serait permis de violer ainsi l’intimité de son épouse mais à cet instant il avait absolument besoin de réponses et il ne put s’empêcher d’ouvrir le petit journal : aucun des écrits n’était daté. Il parcourut rapidement quelques pages avant de s’arrêter sur un passage plus troublant que les autres. Il en entama la lecture la gorge serrée et au fil des lignes son estomac se noua de plus en plus fort…

 

« Je crois que Matt se doute de quelque chose… Je ne sais pas comment il aurait pu l’apprendre mais ces derniers temps son comportement avec moi a changé. Il est devenu distant et se renferme peu à peu sur lui-même. Et ce, sans raison apparente. Je sais par son lycée qu’il s’est mis à sécher les cours et qu’il passe beaucoup de temps dehors mais quand je lui en ai parlé il est monté dans une colère folle et m’a balancé tout un tas d’horreurs !  Je n’en ai pas parlé à son père, ses derniers mots m’en ont dissuadé… J’ai l’impression que mon propre fils « me tient » ! Je dois lui parler, il faut que je lui parle, qu’il comprenne… »

 

Mû par une curiosité malsaine et le besoin de savoir, John tourna la page avec appréhension…

 

« Ca y est, j’ai pu enfin parler à Matt mais j’ai peur qu’il fut déjà trop tard… Il faut que je dise tout à John. Mon dieu, comment le prendra-t-il ? M’aimera-t-il encore après cela ?… Pourra-t-il seulement me pardonner ?… »

 

A cet instant, il repensa aux mots de Gloria : « …il avait aucune raison de faire ça ! Cet homme est avocat, il gagne bien sa vie, il a une femme, trois enfants, une bonne situation. Qu’est-ce qu’il est allé faire dans cette cité ? » Et si John venait justement de trouver la réponse à cette question… Si, tout comme son fils, il avait appris l’existence d’un autre homme… Aurait-il pu aller jusqu’à tuer par amour ?…  Par vengeance ? Si c’était le cas, il ne pouvait continuer à se poser des question et rester ainsi sans rien faire ! S’il ne se présentait pas au tribunal, le lendemain, des policiers frapperaient à sa porte pour l’y conduire sous bonne garde et son destin serait alors scellé : un jury composé de douze hommes et mené par un certain Cody Walsh le déclarerait coupable à sept voix contre cinq, après seulement trois jours de délibérés, le condamnant ainsi à une mort certaine ! Peu à peu, il commençait à prendre conscience des choses et un mot lui vint à l’esprit : « Trahison », puis des images : celles de sa femme avec un autre que lui ! Et alors qu’il sentait de nouveau la colère l’envahir, soudain, ses douleurs le reprirent tel une dizaine de marteau-piqueurs martelant son crane à l’unisson. Il se recroquevilla sur le lit en position fœtale, ravalant sa douleur, et ramena ses bras par dessus la tête comme s’il tentait de se protéger d’une avalanche de coups. Entre lumière vive et épais brouillard il vit en flashs le corps d’un homme allongé dans une sorte de canapé. Il ne discernait pas son visage mais sa peau était noire et ses vêtements étaient entachés de sang ! Etait-ce lui ?… Le jeune homme qu'on l’accusait d’avoir tué ?

Sa femme l’avait trompé avec un gosse !

Elle se serait encanaillé avec un petit vaurien des cités…

Plus la colère le gagnait, plus il était persuadé qu’il l’avait fait ! Il le sentait au plus profond de son être, il en était certain. Ce gosse avait détruit sa famille !

John souffrait le martyre, telle une baudruche qu’on aurait percé de mile trous, sa tête lui donnait l’impression d’être sur le point d’éclater. Il repensa à ces treize derniers jours, à ses vaines tentatives pour faire basculer le vote à son avantage… Il revit Doherty, Walsh,  Williams et les autres, et les photos de famille qui s’étaient matérialisées lors de son réveil le matraquèrent de nouveau. Cette fois, elles semblaient plus claires, moins diffuses. Il reconnut certains visages – ceux des jurés –, aperçut leur maison, leur femme, leur mari et leurs enfants jouant dans des jardins ou dans la rue. Il tenta de se concentrer sur ces visions et parvint ainsi à se rapprocher encore un peu… au plus près de leur vie, au plus près de leur intimité : il vit une boîte aux lettres, une porte d’immeuble, le nom d’une rue sur une plaque, des factures, des notes de téléphone, des cartes postales… Il n’était plus seulement dans leur vie, mais aussi dans leurs souvenirs ! Il avait le sentiment de toucher au but mais plus il se concentrait, plus il souffrait… Il tenta de résister… encore quelques secondes… Encore un instant… Juste un dernier détail… Mais cela devint insoutenable et enfin, tel un volcan sur le point d’exploser il cria sa douleur :

 

“M A R I A A A A A A !!!!!…”

 

Un hurlement qui s’entendit jusque dans la rue.

Un passant profitant du clair de lune pour promener son chien regarda dans la direction de la maison. A l’étage, une lumière s’éteignit, celle de la chambre de John et Maria Gilmore. L’instant d’après, une autre se ralluma trois fenêtres plus loin, puis la maison sombra dans le noir et le silence complet jusqu’à ce que John en franchisse la porte, tête baissée, sa main droite glissant un objet dans la poche intérieure de son manteau.

 

 

VI

 

La nuit s’était obscurcie. La lune avait disparu derrière d’épais nuages, revêtant la cité d’un long manteau noir. John, avait refermé son pardessus et marchait d’un pas pressé en longeant les façades des immeubles le plus discrètement possible. Ses maux de tête s’étaient apaisés et il discernait désormais clairement l’information qu’il avait recherchée parmi toutes les images qui lui avaient traversé l’encéphale. C’était là, tout près… Il aperçut au loin un groupe de jeunes chahutant devant l’entrée d’un des bâtiments. Il courut encore sur quelques mètres, jetant de brefs coups d’œil aux numéros indiqués au dessus des portes puis il s’arrêta. Les jeunes gens se tenaient justement devant l’immeuble qui l’intéressait. Malgré l’adrénaline et le stresse qui montait en lui, il eut la présence d’esprit de contourner l’édifice et escalada l’échelle de secours pour accéder à l’escalier côté ruelle. Quelques secondes plus tard il pénétrait dans l’immeuble par l’une des fenêtres extérieures et avançait le long du couloir qui menait à l’ascenseur. Le chiffre peint sur le mur lui confirma qu’il lui restait encore quatre étages à monter. Il appuya sur le bouton mais rien ne se passa. D’un geste sec il ouvrit la porte et constatant l’état de délabrement de la cabine comprit que l’ascenseur devait être hors service depuis déjà un certain temps. Il continua donc à pied, monta les marches quatre à quatre, traversa un nouveau couloir et s’arrêta enfin, essoufflé, devant l’un des appartements. Il revit les images défiler devant ses yeux : la plaque indiquant le nom de la rue, celle de l’immeuble avec le numéro du bâtiment et le chiffre inscrit sur la porte devant laquelle il se trouvait enfin. Oui, c’était la bonne adresse. Il frappa… Rien. Il recommença, plus fort cette fois. Une voix se fit entendre : « Ouais, ouais ! C’est quoi ce bordel ? » John frappa encore. « C’est bon j’arrive ! » Le jeune homme regarda rapidement par l’œil de bœuf et demanda en entrouvrant la porte :

-         Putain vous êtes qui vous ? 

-         Ouvrez, je dois vous parler, c’est important.

-         On se connaît ? Vous êtes un flic ou un truc du genre ?

-         Je suis avocat, je vous le répète, c’est important.

-         Ok, ok man, c’est bon je t’ouvre.

Le jeune afro-américain décrocha la chaîne et retourna à son canapé. John referma la porte derrière lui, n’omettant pas de raccrocher la chaînette et rejoignit le jeune homme dans ce qui devait être – du moins ça l’avait certainement été avant que celui-ci n’emménage – le salon. « Te gêne pas man, fais comme chez toi ! T’en veux un ? » proposa-t-il, un joint dans le bec, en désignant le paquet d’herbe trônant au centre de la petite table parmi les boîtes vides de vieux déjeuners à emporter, et de vieilles parts de pizzas laissées à l’abandon dans leur carton pourrissant. John, regarda autour de lui, ôta du fauteuil devant lequel il se tenait, les quelques vêtements et autre magazines pornos qui l’encombraient et prit place en face du jeune homme.

-         Alors, qu’est-ce que tu me veux man ? T’as besoin de mon témoignage dans une affaire ?… C’est quoi ? C’est pour un meurtre, un viol ?… Tu sais, je suis un fan de Perry Mason ! J’adore le petit chien qu’il se trimballe partout avec lui !…

-         Le chien c’est dans « La loi est les loi » dit John en glissant la main dans la poche intérieure des son pardessus.

-         Ah, ouais, t’as raison, elle était pas mal aussi celle-là avec le proc et son cleps ! Bon alors c’est quoi ton « affaire » ?… Mais tu sais, chuis pas une balance moi !

-         Il ne s’agit pas de ça.

-         Bon ben quoi alors ? Chuis clean moi, j’ai rien à me reprocher…

John observait le sachet béant sur la table du salon et la fumée qui exhalait dans tout l’appartement l’odeur très particulière du chanvre. 

-         Attends man, c’est rien ça ! C’est juste pour ma consommation perso.

-         Je ne suis pas là pour ça non plus. dit-il en pointant un revolver sur le petit jeune.

-         Hey man, qu’est-ce tu fais là ! attends je sais pas qu’est-ce que je t’ai fait mais je suis sûr qu’on peut s’arranger autrement…

-         Tu n’y es pour rien mais tu as les idées bien trop arrêtées et je sais que tu n’en démordras pas. Désolé.

La détonation fut atténuée par le sweat que John avait pris soin d’enrouler autour du canon, mais pas suffisamment pour être complètement inaudible. Déjà des voix se faisaient entendre dans le couloir.

Il observa une dernière fois l’homme étalé sur le canapé, baignant dans son sang et se remémora la vision qu’il avait eue quelques heures plus tôt ; des images qui le troublaient de par leur similarité avec cette réalité qui se construisait désormais sous ses yeux… Il traversa l’appartement et était déjà à la fenêtre de la chambre lorsqu’il ressentit soudain une violente douleur dans son crâne, comme si une balle l’avait traversé de part en part. Il s’écroula sur le sol, inconscient et fut de nouveau assailli par des souvenirs qui n’étaient pas les siens : ceux d’une enveloppe jetée à même le sol et d’une adresse... Il tenta de faire abstraction de sa souffrance, réouvrit les yeux et alors l’aperçut, cachée sous le lit : l’enveloppe et l’adresse de son destinataire, parfaitement lisible… Tout à coup, un bruit violent se fit entendre. Combien de temps avait-il perdu connaissance ? Quelques secondes, plusieurs minutes ? Peut-être plus… Il se dit qu’en entendant le coup de feu, quelqu’un avait dû sonner à l’appartement et n’obtenant aucune réponse, l’avait certainement signalé au commissariat le plus proche. Peut-être étaient-ils déjà là ? Ce bruit, c’étaient sûrement les flics qui venaient d’enfoncer la porte ! Il rassembla ses dernières forces, se releva et tenta de se faufiler par la fenêtre. Mais alors qu’il était passé, son pardessus resta accroché au rebord et en tirant pour le défaire de ce piège, son revolver glissa de la poche du manteau à l’intérieur de la chambre. Comme à son habitude, John réfléchit à toute allure et se dit qu’au final le fait d’abandonner son arme pourrait jouer en sa faveur ; aucun meurtrier ne serait assez bête pour laisser une arme achetée en son nom sur les lieux de son propre crime ! Il ferait une déclaration de vol et le tour serait joué. Et puis de toutes façons il n’avait pas le choix car si la police était déjà dans l’appartement, il n’était pas certain d’avoir le temps de repasser par la fenêtre pour récupérer le revolver.

Il descendit précipitamment les escaliers de secours et sans se retourner, regagna sa voiture garée à quelques blocs de là.

 

Quelques semaines plus tard…

 

La voiture se gara le long du trottoir. Deux hommes en sortirent, l’un vêtu d’un manteau court et l’autre d’un imperméable en cuir. Celui au manteau frappa à la porte de la villa. A l’intérieur, une voix se fit entendre « J’y vais chéri ! ». La porte s’ouvrit sur une femme au visage pur et aux longs cheveux bruns.  

-         Maria Gilmore ? dit l’un des deux hommes sans attendre de réponse, inspecteurs Khilman et Harsher, brigade criminelle, nous venons chercher votre mari.

-         Nous avons un mandat ajouta l’autre en forçant quelque peu le passage.

Elle resta interdite, le document officiel entre les mains, mais ne parvenant ni à lire, ni à articuler le moindre mot. En haut des escaliers John fit son entrée et Harsher pointa son revolver dans sa direction.

-         Monsieur Gilmore, Police, descendez les mains en l’air !

« Non pas déjà ! »  pensa John. « Que se passe-t-il ? »

Pendant que son coéquipier le couvrait, l’inspecteur, se dirigeait à l’encontre de John.

-         Mains en l’air, monsieur Gilmore ! répéta le policier. John s’exécuta. Et Harsher l’empoigna au milieu du grand escalier. John Gilmore, vous êtes en état d’arrestation, énonça-t-il en lui passant les menottes. Tout ce que vous direz pourra et sera utilisé contre vous devant un tribunal. Vous avez droit à être assisté par un avocat…

-         Je SUIS avocat ! Et j’exige de savoir pour quel motif vous m’arrêtez.

 

-         Homicide volontaire.

     

Incise

 

Les coups de marteau raisonnèrent en lui ce jour là comme dans un lointain souvenir. Sauf qu’il n’y eut cette fois aucune douleur, aucune absence, rien ! Il était assis aux côtés de Maître Mc. Pherson sur le banc des accusés et aucun « bond », aucun « saut » ne changerait cette réalité.

Assis à quelques mètres de là, dans le box situé sur sa droite, chacun des membres du jury croisa à un moment ou un autre, pour seulement un court instant ou quelques longues secondes, le regard de John qui les dévisageait l’un après l’autre : Marty, Shepard, Tom Sanders, Doherty, Cynthia… Ils étaient tous là. Tous bien sûr, sauf un… C’est alors qu’il le reconnut entre tous. Son visage crispé se décontracta et pour la première fois depuis longtemps, il sentit ses épaules moins lourdes. « Le treizième homme », il était bien là. Le premier suppléant qui, comme il l’avait prévu, avait pris la place de T.J parmi les jurés.

Le juge s’adressa directement aux membres du jury :

« Mesdames et messieurs les jurés, pendant les trois prochaines semaines vous entendrez les arguments de la partie civile ainsi que ceux de la défense. Des faits vous seront exposés, mais aussi plusieurs interprétations de ces mêmes faits, selon qu’ils seront développés par la défense ou l’accusation. Et c’est à vous qu’il incombera au bout de ces trois semaines de débat de décider si John Gilmore s’est rendu coupable d’homicide volontaire sur la personne de Térence Jones Smith, dit « T.J. » dans la nuit du onze au douze mars de cette année ; ou s’il est innocent des faits qui lui sont reprochés…

« Quoi ? C’est pas possible ! s’exclama John. C’est pas pour ça que je suis là ! Ce n’est pas lui que j’ai tué ! dit-il à l’attention de son avocat. »

-         Calmez-vous John. Ca fait longtemps qu’on sait pourquoi vous êtes là.

-         Non, cela ne devait pas se passer comme ça !

Le juge interrompit son laïus, lançant un regard menaçant en direction de la défense. « Ecoutez, reprenez votre sang froid ou l’on va finir par se mettre à dos la cour ! Je ne comprends rien à ce que vous me chantez ! On en reparlera tout à l’heure si vous le voulez bien.

-         Ce nom, vous ne m’aviez jamais donné son nom !

-         Bien sûr que si. Et de toutes façons, peu importe puisqu’aucun lien n’a encore pu être établi entre vous et lui. Tenez-vous tranquille maintenant !

« Mesdames et messieurs les jurés, il s’agit d’une tâche de la plus haute importance pour laquelle la responsabilité de chacun est en jeu car ce sera peut-être votre voie qui, au final, décidera de la vie ou de la mort d’un homme. Vous devrez donc vous prononcer en votre âme et conscience, et au delà de tout doute raisonnable, ce qui signifie que le moindre doute dans votre esprit devra bénéficier à la défense. Par conséquent, je vous demanderais de prêter la plus grande attention à ce qui sera dit dans ce tribunal. La cour a-t-elle été suffisamment claire à propos de ce qu’elle attendait de vous ? La douzaine d’hommes assis dans le box, répondirent par l’affirmative. Très bien, dans ces conditions la séance peut commencer. Maître Fish faites appeler votre premier témoin ! »

-         Mc.Pherson, je vous répète qu’il y a quelque chose qui n’a pas dû fonctionner. Demandez une suspension d’audience. Il faut absolument que je passe un coup de fil !

-         John, vous êtes vraiment certain de vouloir faire cela maintenant ?

-         Il le faut.

-         Très bien, mais c’est vous qui l’aurez voulu. Votre honneur, la défense demande une suspension d’audience. L’accusé… ne se sent pas bien. Et nous souhaiterions le faire examiner par un médecin.

-         C’est une plaisanterie Maître Mc. Pherson ? J’espère que vous ne comptez pas pour de vagues raisons médicales, ajourner ce procès indéfiniment, Maître !

-         Non votre honneur, cela n’est nullement dans notre intérêt…

-         Ni plaider la folie n’est-ce pas ?

-         Non, votre honneur, mon client doit vraiment être examiné dans les plus brefs délais.

-         Très bien, nous verrons ça. J’attends les justificatifs dans mon bureau dès la reprise des débats.

-         Objection votre honneur ! protesta Fish.

-         Rejetée. La séance est reportée à 14h, annonça le juge en frappant son marteau sur le bureau.

 

Dans le box des jurés, la douzaine d’hommes se levèrent comme un seul, hésitants, comme s’ils cherchaient leur chemin ou la bonne tenue à adopter. Une jeune femme qui sortait du lot regarda John avec insistance et sembla retenir un sourire qui lui était visiblement destiné.

   

 


Epilogue

 

Trois  mois  plus tard…

 

« Dans l’affaire n°15858, l’état contre John Gilmore, le jury est-il parvenu à un verdict ? »

-         Oui votre honneur, confirma Cody Walsh en tendant un petit papier au greffier qui le transmit immédiatement au juge.

-         Très bien. dit ce dernier après avoir pris connaissance de la décision. Accusé, levez-vous je vous prie. Nous vous écoutons monsieur le président.

-         A la question : John Gilmore a-t-il assassiné Térence Jones Smith, dit « T.J. » dans la nuit du onze au douze mars de cette année… Nous, membres du jury, déclarons l’accusé… coupable !

Ce fut soudain l’hystérie dans la salle : Les journalistes se ruèrent vers les bornes Internet et sur leur téléphones portables, les badauds venus en simples spectateurs assister au verdict manifestèrent leur enthousiasme et les proches de la victime hurlèrent leur contentement, non sans une certaine virulence.

« Un peu de silence ! ordonna le juge en frappant son marteau avec véhémence sur le bureau. Silence ! Ou je fais évacuer la salle sur le champ !… Les cris baissèrent d’un ton.  Monsieur Gilmore, vous avez été reconnu coupable d’homicide volontaire. La peine pour ce crime est la peine de mort. La date de votre exécution sera fixée dans les quinze prochains jours. Avez-vous une dernière déclaration à faire ?  »

-         Ce n’est pas lui que j’ai tué en premier, c’est l’autre ! Lui je l’ai tué parce qu’il allait détruire ma famille ! C’est pas de ma faute ! Il le fallait, vous comprenez, il n’y avait pas d’autre moyen ; j’étais obligé ! Mais ça n’aurait pas dû se passer comme ça… vous entendez ?…

 

« Ca n’aurait pas dû se passer comme ça… » répétait-il inlassablement lorsqu’un gardien le sortit de son sommeil : « T’as du courrier, Maître ! » ironisa le fonctionnaire en jetant une enveloppe à travers les barreaux de la cellule. John se leva péniblement de sa couchette et ramassa son courrier.

 

« Mon cher amour,

 

Comment te dire ce que je ressens aujourd’hui ? Comment mettre des mots sur cette souffrance que j’endure depuis des mois ? Comment te dire cette douleur qui ne me quitte plus depuis que je sais ?… Je ne peux exprimer mes sentiments sans ajouter à ton malheur, sans que cela soit un poids supplémentaire sur tes épaules.

Comme toi j’entends chaque nuit dans mon sommeil la voix de cet homme qui nous condamne à ne plus exister ! Et chaque matin pourtant je me réveille. Mais sans toi, mon amour, mes jours sont pareils à ces nuits de cauchemars…

Seuls les enfants m’aident à tenir, tu sais. Comme tu le souhaitais, je leur ai dis que tu préférais qu’ils ne viennent pas et leur en ai expliqué les raisons. Cela n’a pas été facile, surtout pour Matt mais je pense qu’un jour il comprendra. Tu leur manque tellement…

Je ne comprends pas toutes les questions que tu me poses dans ta lettre mais j’avoue qu’elles m’ont mis mal à l’aise. Je m’en veux parfois tellement pour tout ça que je voudrais prendre ta place ! J’aurais dû te parler plus tôt, essayer au moins… Je sais tout ça. Mais aujourd’hui que veux tu que je te dise ?…

Je ne t’ai jamais trompé John ! Mais avant de te connaître, j’ai mené une vie dissolue, sans attache, et j’ai connu beaucoup d’hommes, des hommes peu respectables, des hommes dangereux. C’est pour ça que je n’ai pas voulu t’en parler. Et toi tu ne m’as jamais posé de questions… Je t’aimais tellement pour ça. Puis un jour je suis tombée enceinte. Un de ces hommes m’avait fait un enfant et j’ai décidé de le garder et de l’élever seule. Mais alors que le bébé n’avait que quelques semaines, il me l’a pris et je n’ai jamais cessé depuis de le chercher. Lorsque je l’ai enfin retrouvé, quelques années plus tard, j’ai appris qu’il était élevé par une grande tante dans un quartier malfamé du Queens. N’ayant plus aucun droit sur lui, et ayant moi aussi refait ma vie… Je t’aimais tant… Je ne pouvais plus le récupérer mais je suis rentré en contact avec sa tutrice légale... Et depuis je leur envois régulièrement de l’argent et leur rends visite de temps en temps. John, je te promets que je te dis la vérité ; c’est ça que Matt a découvert. Je suis tellement désolé que tu l’aies appris ainsi et je sais que j’aurais dû te le dire plus tôt mais je ne vois pas le rapport avec ce Terence J. Smith ! Et pour répondre à ton autre question, nous n’avons reçu aucune visite de la police avant qu’ils viennent t’arrêter chez nous.

 

            Mon amour, écris moi vite, je t’en prie, dis moi ce qui s’est passé ?… Dis moi que tu seras toujours là, que rien n’est perdu…

 

M.

 

Qui t’aime et pour toujours. »

 

***

 

      « Le temps qui passe nous enferme entre des murs qui ne sont pas faits de ciment mais d’espoirs évanouis et de calamités qu’on n’a pas réussi à détourner. Quelle chance de pouvoir alors revenir sur ses pas rien que pour découvrir alors qu’affronter le passé c’est s’affronter soi-même. Etre libéré du temps ne nous libère pas de ce qu’on est au fond de soi. C’est la seule prison dont on ne s’évade pas. » Steven Maeda.

 

FIN